Littérature française

Annie SAUMONT, Le tapis du salon

Annie Saumont,
Le tapis du salon

Ed. Julliard, 2012.
ISBN 2260019919 

Les « petites histoires » grinçantes d’Annie Saumont

« Ce pourrait être une histoire d’un livre de lecture élémentaire qui trônerait sur l’étagère de la Bibliothèque rose. Et puis tout change. »

Extraites de « Mort d’un poisson rouge », la dernière nouvelle du recueil, ces quelques phrases nous disent tout de l’art d’Annie Saumont. Ça n’a l’air de rien, on plonge naïvement dans chacune des ces dix-neuf nouvelles, et soudainement, tout bascule. Avec Miranda, élève de 6ème dans « À la maison », ça commence même « […] comme un jeu ». Un acrostiche à partir du mot « MAISON ». Un jeu, oui, pour parler de sa vie de SDF avec sa famille, et du désintérêt du directeur du collège. Un jeu qui se transforme en prière, pour « N ous reloger (même dans quinze mètres carrés). Parce que sinon – (Sinon quoi ?) ».

Linda, elle, dans « Vacances », aime s’imaginer à la place de sa sœur à qui tout réussit : « Mon jeu, ça n’a pas si mal fonctionné. Toute la journée, j’ai été la fille dont la sœur est affreuse. Ça a raté tard dans l’après-midi. » Dans Le Tapis du salon, Annie Saumont excelle dans l’art du renversement.

Amoureuse des mots, elle s’est d’abord imposée comme traductrice de J.D. Salinger, dont elle a traduit une première fois L’Attrape-cœurs en 1986 (après une première traduction de cet auteur par Sébastien Japrisot en 1953). Décédée en janvier dernier, elle a aussi laissé derrière elle une œuvre prolifique de plus de trois cents nouvelles et une vingtaine de recueils, dont le dernier, Florilège, a été publié à titre posthume. Il n’est pourtant pas facile de s’imposer comme nouvelliste, tant ce genre trouve difficilement son public. Sur le plateau de la Grande librairie en 2012, à la question de François Busnel sur les raisons de son choix de la nouvelle, Annie Saumont répond simplement qu’après une tentative de roman demandé par un éditeur qu’elle admirait, « ça ne [la] satisfaisait pas[1]. » Elle a donc heureusement continué à écrire des nouvelles, et son talent a été récompensé en 1981 par le prix Goncourt de la nouvelle pour Quelques fois dans les cérémonies, paru chez Gallimard.

Drames quotidiens au scalpel

En fine observatrice, Annie Saumont pointe du doigt le détail, ce qui coince, et qui jusqu’alors était resté inaperçu. Dans les trois nouvelles éponymes qui jalonnent le recueil, d’un tapis naît le drame de nos personnages. Dans l’une, le jeune narrateur, orphelin, « [] étai[t] émerveillé. » car « [il] n’avai[t] jamais vu de tapis. ». C’est ce même tapis qui enroulera les corps des deux femmes qui se sont occupées de lui. Dans une autre nouvelle, parce qu’elle a utilisé par erreur de l’acide pour nettoyer une tache, « ce tapis, Isa ne l’a plus jamais vu ». D’un tout petit rien, on bascule dans l’horreur. À la parution de son recueil en 2012, à propos de l’écrivain argentin Julio Cortázar, Annie Saumont confie à Josyane Savigneau : « Moi, je ne travaille pas sur le fantastique, mais sur l’observation du quotidien. Je traque les choses qui arrivent comme par inadvertance. J’aime faire surgir une ambiguïté, susciter une sorte d’inquiétude. Il faut qu’il y ait une tension dramatique, sinon c’est raté. C’est presque comme une petite pièce de théâtre. C’est un instant, un point, un incident, un moment de rupture[2]. » En quelques pages, elle parvient à instaurer un suspens glaçant  jusqu’à ce petit détail qui enraye toute la machine de la vie. La chute, cruelle, laisse un goût amer.

Je te tiens par la main…

Dans ses nouvelles qui dérangent, Annie Saumont joue avec les nerfs de ses lecteurs. Chacun de ses personnages sont autant de miroirs de nous-mêmes : ici et là, une femme quittée pour une autre, un petit garçon qui marche dans la rue des heures durant pour échapper à la colère de son père, un jeune homme qui se retrouve sans emploi et se demande s’il va réussir à garder sa femme, un poète qui aime plonger des falaises. Ils vivent tous des drames, essayent tous de résister. D’une main douce mais sûre, Annie Saumont nous guide à travers leurs histoires et nous lâche brutalement, sur une dernière phrase, parfois sur un dernier mot. Au lecteur, pantois, d’imaginer l’issue. Dans une langue simple et minimale qui lui ont souvent valu d’être comparée à Raymond Carver, ce dont nous parle Annie Saumont c’est de l’absurdité de la vie. Et ce constat est d’autant plus dur qu’aucun retour en arrière n’est possible. « Je voudrais que tout recommence. Je voudrais que tout soit comme avant. » souhaite Avel dans « Et ne va te promener sous la pluie sans ton K-way ». Mais la réponse du personnage d’« Histoire » est sans appel, « on ne recolle pas ce qui est cassé ». On se délecte avec effroi de chacune de ces nouvelles pleines d’humanité cruelle. Annie Saumont réussit tous ses coups, et met son lecteur KO.

Guichet Clémence A.S. Bibliothèques-Médiathèques 2017-2018

Sources
– Le verbe bref », Le monde des livres, Josyane Savigneau, mars 2012. http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/01/annie-saumont-le-verbe-bref_1650047_3260.html
http://www.julliard.fr/site/le_tapis_du_salon_&100&9782260019916.html

– François Busnel a lu Le tapis du salon, par Annie Saumont  François Busnel, L’express, février 2012.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/francois-busnel-a-lu-le-tapis-du-salon-par-annie-saumont_1077408.html

Biographie de l’auteur :

Nationalité : France
Née à : Cherbourg (Manche) , 1927
Morte à : Paris , le 31/01/2017
Annie Saumont est une femme de lettres . Elle a été d’abord traductrice, spécialisée dans la littérature anglo-saxonne. On lui doit notamment une nouvelle traduction de L’Attrape-Cœurs de J. D. Salinger. Elle a aussi traduit des romans de V.S. Naipaul, Nadine Gordimer, John Fowles…

Bibliographie non exhaustive de l’auteur :
Quelquefois dans les cérémonies,  Gallimard, coll. « Blanche », 1981.
Les voilà quel bonheur, Julliard, 1993.
Je suis pas un camion, Julliard, 1996.

Pour aller plus loin :
J.D. Salinger, L’Attrape-cœurs, trad. d’Annie Saumont, Robert Laffont, coll. « Pavillons poche », janvier 2016.

[1] Émission du 19 janvier 2012.

[2] « Le verbe bref », Le monde des livres, Josyane Savigneau, mars 2012. http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/01/annie-saumont-le-verbe-bref_1650047_3260.html

https://www.lexpress.fr/culture/livre/video-alexandra-lemasson-lit-un-extrait-du-tapis-du-salon-d-annie-saumont_1119748.html