Littérature américaine

Carson MCCULLERS, La Ballade du café triste et autres nouvelles

Carson MCCULLERS,
La Ballade du café triste et autres nouvelles

Traduit de l’américain par Jacques Tournier
Titre original : The Ballad of the sad cafe, Bantam books, 1951.
Stock, 2017.
Collection La Cosmopolite
EAN  9782234083493

La nouvelle « La Ballade du café triste » raconte un interlude de chaleur, de joie, dans l’histoire sombre et triste d’une petite ville. Il ressemble à ce moment que Carson McCullers décrit, celui où on entre dans un café et où « pendant quelques heures, [on peut] oublier ce sentiment amer et profond de ne pas valoir grand chose en ce monde » (p.86). Ecrite en 1943, c’est la première des sept nouvelles rassemblées dans ce recueil publié en 1951. Bien plus longue que celles qui suivent, on peut y deviner des fragments autobiographiques. C’est ainsi que Jacques Tournier, le traducteur de cette édition, la présente dans son avant-propos (édition Stock, 1974). Dans « La Ballade du café triste », l’auteur se dépeint en Miss Amelia à qui elle ressemble jusque dans son physique où les codes des genres sont brouillés : « C’était une femme grande et sombre, avec une charpente et des muscles d’homme, des cheveux coupés courts coiffés en arrière, et, tout autour de son visage brûlé de soleil, un air de noblesse égarée et hautaine »(p.23). On découvre ainsi Carson à travers ses nouvelles, une enfant du sud des Etats-Unis qui porte un nom de garçon. On devine une grande sensibilité à la musique, domaine dans lequel sa mère la voyait faire carrière. Dans « Wunderkind », on comprend néanmoins l’impasse dans laquelle l’aurait menée cette voie car « dans la salle d’étude, la musique se hâtait avec une impatience maladroite vers un but impossible à atteindre. » (p.111). C’est ainsi qu’elle se tourne définitivement vers l’écriture.

Celui qui passe : l’amour et le temps

« […] une force d’amour aussi changeante que la sienne peut-elle commander à la course du temps? » (p. 162)

Cette question posée dans la cinquième nouvelle, « Celui qui passe », résume les angoisses qui habitent l’auteur tout au long du recueil. Qu’est-ce qui passe ? Le temps ? L’amour ? Les deux réponses semblent justes et aller de pair. Cela rappelle les amours compliquées qu’elle a eues avec le commandant Reeves McCullers qui aura fait des allers-retours dans sa vie. Elle l’épouse une première fois en 1937, mais le succès de son premier roman, Le cœur est un chasseur solitaire, les déchire. Après la guerre, Reeves revient et ils entament un second mariage, qui n’est guère plus heureux que le premier. Son mari la jalouse toujours, lui qui voulait aussi être écrivain. « En toute logique, je crois qu’on s’est tellement courus après, tous les deux, qu’on a fini par être complètement emmêlés, et par s’écrouler en lâchant prise » (p. 187), c’est ce qu’on peut lire dans la dernière nouvelle « Une pierre, un arbre, un nuage ». Cherche-t-elle à expliquer sa relation avec Reeves? Le recueil s’achève sur l’histoire d’un homme qui a appris à aimer comme on apprend à compter, comme si l’on pouvait faire de l’amour une science. Cependant, dans La Ballade du café triste, l’auteur le décrit comme « une chose solitaire« , et c’est sans doute cette triste fatalité qu’elle a voulu présenter dans son recueil.

Des fragments de vies

Chacune des nouvelles donne l’impression d’un tableau présentant un instant de la vie d’un personnage. Parfois complexe et mystérieux, comme le Cousin Lymon, Marvin Macy ou Miss Amelia dans « La Ballade du café triste ». Parfois banal comme John Ferry dans « Celui qui passe », qui voit sa propre vie comme « dérisoire, solitaire, fragile colonne dressée parmi les décombres des années perdues, et qui ne [supporte] plus rien » (p.155). McCullers nous évoque par une écriture descriptive, mais efficace un fragment de leur histoire, comme si l’on surgissait tout à coup dans leur vie et qu’on repartait comme on était venu. La recherche de sa place dans le monde, la recherche du bonheur, de l’amour, et la vanité de cette quête se profilent tour à tour. En cela, La Ballade du café triste peut rappeler L’Attrape-coeur publié la même année et où Salinger raconte – certes avec un style plus familier – les errances d’un jeune homme dans New-York. L’écriture est rythmée par une alternance de descriptions, de réflexions plus métaphysiques et de dialogues. La simplicité des personnages nous permet de nous plonger pleinement dans leur histoire, de les comprendre et de comprendre ce qu’ils ressentent. La poésie banale de ces histoires est touchante, et l’on en vient à méditer sur sa propre vie.

Alice Coqueron, AS, Bibliothèques-Médiathèques, 2017-2018.

Source
La Ballade du café triste, avant-propos de Jacques Tournier, Stock, 1974.

Biographie de l’auteur

Nationalité : américaine.
Née à Columbus (Georgie) en 1917.
Se destinant à des études de musique, elle y renonce pour se consacrer à l’écriture. Son premier roman sera Le coeur est un chasseur solitaire. Amie de Tennessee Williams et de Henry Miller, elle dépeint dans ses oeuvres des figures marginales et solitaires.

 

Bibliographie non exhaustive de l’auteur
Reflets dans un oeil d’or, Stock, première édition en 1946.
Le coeur est un chasseur solitaire, Stock, première édition en 1947.
Frankie Addams, Stock, première édition en 1949.
Le coeur hypothéqué, Stock, première édition en 1977.

Pour aller plus loin
Josyane Savigneau, Carson McCullers : un coeur de jeune fille, Stock, 1995.

Emission « La grande table », France Culture, 8/06/17 : Carson MacCullers, un coeur insoumis.

Emission « La compagnie des auteurs », France Culture, Carson McCullers : Un coeur de jeune fille.