Littérature française

Laëtitia COLOMBANI, La Tresse

Laetitia COLOMBANI
La tresse

Grasset, 2017
ISBN : 978-2-253-90656-8

« La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits », Olympe de Gouges

« Pas besoin d’être bien née pour avoir du courage. Cette pensée donne de la force à Smita. Non, elle n’abandonnera pas Lalita à la fange, elle ne la livrera pas à ce darma maudit. » (p.126)

Trois femmes sur trois continents différents font face à leur destin : Smita, une dalit – une intouchable en Inde – désire pour sa fille un autre avenir que le sien. Giulia est sicilienne et l’avenir lui sourit jusqu’à ce qu’un accident de la route la pousse à assumer de lourdes responsabilités et Sarah, avocate redoutable dans un grand cabinet d’avocat à Montréal, voit sa vie basculer du jour au lendemain. Trois femmes que rien ne rapproche – nationalité, religion, éducation, environnement, société – vont devoir se battre contre ce que Smita appelle le « darma ».

La condition féminine

Sarah s’affaiblit et elle le sait « lorsqu’on nage parmi les requins, mieux vaut ne pas saigner » (p.120). Elle ne marche plus la tête haute mais titube les épaules voûtées, elle qui dominait son petit monde ne peut désormais que l’observer à distance, comme un spectre qui essaierait d’avoir une emprise sur la réalité. En Inde, Smita fuit. Elle fuit un pays ancré dans des pratiques patriarcales barbares et antiques. Certes les castes sont un poison à la dignité humaine mais que dire de la condition féminine ? L’Inde est peuplée d’histoires terribles qui condamnent avec une violence inouïe toutes les personnes qui tenteraient de s’élever au-dessus de leur rang et ces violences s’exercent surtout sur les femmes : « Smita a déjà entendu ce chiffre, qui l’a fait frissonner : deux millions de femmes, assassinées dans le pays, chaque année. Deux millions, victimes de la barbarie des hommes, tuées dans l’indifférence générale » (p.97). Smita a courbé l’échine elle aussi, comme sa mère avant elle. Elle s’est affaissée avec le temps et ses rêves se sont émoussés jusqu’à l’arrivée de Lalita. De nouveaux espoirs naissent alors en Smita qui mettra tout en œuvre pour que sa fille, fière, jeune et belle soit une jolie fleur à la superbe floraison avant que ce monde d’une bêtise cruelle ne la fane. Et Giulia, qui vivait dans sa bulle sous le soleil sicilien, va voir son avenir s’assombrir petit à petit, se rétrécir jusqu’à étouffer ses rêves.

L’autrice, à travers ces trois vies, pointe du bout de sa plume une terrible vérité : la femme est constamment outragée, méprisée et ce, quel que soit le modèle de société. En Inde les violences exercées sur les femmes sont légion et les mentalités sont figées dans un modèle sociétal d’un autre temps. Et que dire du modèle de société à l’occidentale qui exerce une tout autre violence sur la gente féminine, les mariages de raison, par exemple, sévissent encore de nos jours et dans de nombreux pays. L’intérêt de la famille prime sur le bonheur de la femme qui doit se soumettre aux volontés familiales. Enfin Laetitia Colombani souligne, avec force aussi, que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes n’est toujours pas résolue : « S’il y a une majorité de femmes parmi les collaboratrices, Sarah est la première à avoir été promue associée, dans ce cabinet réputé machiste. La plupart de ses amies de l’école du barreau se sont heurtées au plafond de verre. Certaines d’entre elles ont même abandonné, changé de carrière, malgré les études longues et exigeantes qu’elles ont menées. » (p.33). Les femmes actives travaillent plus non pas volontairement pour se démarquer mais parce qu’elles n’ont tout simplement pas le choix. C’est le prix à payer pour être légitimée dans son emploi. Ce constat n’est pas un postulat mais, malheureusement, une réalité vécue par de nombreuses femmes à travers le monde. La tresse est donc une fiction qui se fait écho à la réalité : la condition féminine, le harcèlement sexuel dénoncé par des mouvements contestataires à l’instar de #Metoo, les écarts salariaux en France entre les femmes et les hommes (les premières touchant 15,1% de moins que leurs homologues masculins), etc. Pour toutes les femmes qui ont vécu ces formes d’agressions, Laetitia Colombani, à travers son roman, hisse l’étendard de la combativité et du courage.

Une tresse comme une promesse

Récompensé, entre autres, par le Globe de Cristal 2018 du meilleur roman/essai, il émane de ce roman une énergie folle de ne pas se laisser abattre mais au contraire de se battre. L’autrice, dans un style fluide, tisse ces histoires dans un roman choral en alternant des petits paragraphes ce qui accentue l’intensité des récits. Les tours que jouent le destin semblent parfois insurmontables, toutefois rien ne peut résister à la volonté propre, aux désirs de vivre pour soi mais aussi pour les autres. C’est la volition dans ce qu’elle a de plus beau. La narration nouée, entrelacée, mêle les mésaventures de trois bouts de femme, fragiles et fortes à la fois, toutes dévorées par une soif de vivre insatiable.

Laetitia Colombani avait déjà écrit pour le cinéma, réalisé quelques courts métrages et aussi joué dans des longs métrages mais elle livre là son premier roman. Un roman qui vous absorbe totalement et dont on ne peut détacher les yeux pour faire autre chose. Impossible. Un mot d’ailleurs que ses trois héroïnes ne connaissent pas. Quel est le lien entre elles ? Qu’est-ce qui les unit ? Ce sont là des questions que le lecteur n’aura de cesse de se poser jusqu’à l’évidence. Giulia et Smita si généreuses, si altruistes et dévorées par une soif de vivre – mais vivre leur vie et non celle qu’on leur choisit, qu’on leur impose – transmettront à Sarah un message d’espoir véritable.

On n’ose lever les yeux du roman pour savoir comment ces trois vies se trouveront liées et, paradoxalement, on redoute aussi cet instant puisqu’arriver au bout c’est alors les quitter. Après avoir tourné la dernière page la petite tristesse de quitter ces trois femmes fait place à une grande impatience de lire le prochain roman de cette autrice que 17 éditeurs étrangers s’arrachent déjà.

Laurent Brognara, Année spéciale, Edition/Librairie, 2018-2019

Sources pour la biographie de l’autrice :
Grasset

Biographie de l’autrice  :

Nationalité : France

Né à  : Bordeaux (1976)

Après avoir obtenu un diplôme lié au Cinéma, elle écrit et réalise plusieurs courts métrages et deux longs dont « A la folie… pas du tout ». Elle travaille aussi pour la scène et coécrit la comédie musicale « Résiste ». Elle complète sa palette du 7ème art en jouant la comédie dans une douzaine de longs métrages dont « Cloclo ».

« La tresse » est son premier roman et c’est immédiatement un succès littéraire qui s’arrache dans le monde entier. Il obtient de nombreux prix littéraires dont celui du Globe de Cristal 2018 du meilleur roman/Essai.

 

Bibliographie complète de l’autrice :
La Tresse, Grasset, 2017.

Prix Relay des Voyageurs-Lecteurs 2017
Prix littéraire DOMITYS 2018
Globe de Cristal 2018 du meilleur roman/essai

Pour aller plus loin :
France culture  le 11/05/2017
Actua Litté le 26/03/2018