Littérature anglaise

Richard ADAMS, Watership Down

Richard ADAMS, Watership Down

 Monsieur Toussaint Louverture, 2016
ISBN 9791090724273

 Une épopée lapine, mais pas que…

« La terre tout entière sera ton ennemie. Chaque fois qu’ils t’attraperont, ils te tueront. Mais d’abord, ils devront t’attraper. » (p.44)

Telle est la prédiction de Krik, dieu soleil et créateur des lapins, qui figure sur la quatrième de couverture choisie par l’éditeur Monsieur Toussaint Louverture. Voilà, la couleur est annoncée : nous avons affaire à une épopée lapinesque et grandiose à travers la campagne anglaise. Guidée par un jeune lapin – Hazel – qui suit les visions de son cadet – Fyveer –, une petite troupe s’enfuit à l’annonce d’une catastrophe. Ils n’auront de cesse de rechercher une terre plus paisible où fonder un nouveau foyer. Certains détours, ainsi que quelques rencontres ne se feront pas sans frayeurs ni dangers.

Pourtant cela commençait si bien…

« Le crépuscule n’allait pas tarder et le soleil couchant de ce mois de mai empourprait les nuages. La pente sèche était constellée de lapins. Les uns grignotaient les rares brins verts autour de leurs terriers, tandis que d’autres osaient s’éloigner un peu, en quête de pissenlits ou d’une primevère oubliée. » (p.13)

Ces lapins sont de vrais lapins. Richard Adams s’est inspiré d’un ouvrage scientifique concernant l’espèce [1] et cela se sent. Cependant, ils sont bien plus que cela. Lors de veillées dans les terriers ou au clair de lune, Dandelion, le fabuliste, conte les mythes de Shraavilshâ, Lapin mythique immensément rusé. Se dessine alors tout un panthéon de déités et une véritable histoire de la création de l’identité lapine. Ils parlent le langage du vivant (partagé par tous les animaux), mais ils disposent aussi leurs propres mots liés à leur vécu ou à leur mythologie.

Au travers des personnages shamans et poètes, l’auteur semble également mettre en avant une sublimation du réel nécessaire à toute société et qui devrait être plus écoutée. Les capacités prophétiques de Fyveer sauvent plusieurs fois les lapins, notamment en ouvrant un champ d’action plus grand qu’ils ne l’imaginaient. Les poètes, quant à eux, participent aussi à ce mouvement créatif en exprimant un destin tragique ou un désespoir insondable avec grâce et délicatesse.

« En automne volent les feuilles jaunes et brunes.
Elles se froissent dans les fossés et se débattent sur les haies.
Feuilles, où fuyez-vous ? Très loin, si loin,
En terre nous allons, où vont les fruits et la pluie.
Emportez-moi, ô feuilles où vous emporte votre course noire.
Je vous accompagne, je serai lapin-des-feuilles. » (p.130)

« Nos petits amis poilus », c’est ainsi que le lecteur peut les considérer au début de l’histoire, mais cela change bien vite grâce à la plume de l’auteur, qui toujours nous ramène à hauteur de lapin, dans leur sensible, et la magie opère : on oublie la distance, on s’attache à eux et on va farfaler quelques brins d’herbes avant de s’enfuir à l‘approche d’un vilou qui viendrait rôder dans le coin.

La petite troupe que nous suivons tente, durant cet exil, de trouver un équilibre jusqu’alors inconnu dans le fonctionnement d’un groupe de lapins. Si la hiérarchie se base traditionnellement sur la vigueur de ses membres, il en va différemment avec cette compagnie. Hazel, désigné comme chef grâce à son courage et sa perspicacité, cherche à lier les siens sans hiérarchisation mais grâce à un respect mutuel et une mise à profit des spécialités de chacun. Une petite société égalitaire se met en place sous son impulsion. Outre des liens internes, il va également tisser des relations avec d’autres espèces en prônant une entraide. Cependant, ils rencontrent d’autres lapins plus ou moins sympathiques. Au travers de la vision du groupe de Hazel et les siens et de la confrontation avec d’autres garennes se découpe finement une critique sociétale. La violence, la résignation, la lâcheté, l’apathie de certains lapins ou encore une négation de sa propre identité fondamentale frappent le lecteur et appellent à une réflexion qui dépasse l’ouvrage et nous renvoie à certains comportements humains. C’est aussi quelque part la recherche ou la piste d’une utopie du vivre ensemble qu’a voulu esquisser Richard Adams.

Outre cette critique sous-jacente, l’image de l’humain est peu flatteuse. Aux yeux des lapins, les agissements des hommes sont incompréhensibles, irrationnels. Pour preuve : ils portent à leur bouche de drôles de « bâtons blancs » qui fument (p. 45). Par de petits clins d’œil, l’auteur nous propose de mettre en perspective notre propre comportement. Mais la leçon est moins drôle lorsque les échappés de la garenne natale content l’arrivée des hommes et le massacre de toute la tribu. L’auteur a fait partie du gouvernement anglais : il a travaillé pour le ministère de l’environnement. Ses préoccupations écologiques se retrouvent donc aussi dans le récit, sans pour autant se manifester comme un doigt accusateur. Heureusement, tout n’est pas noir, et le chapitre Dea Ex Machina offre une lueur d’espoir qui fait du bien.

L’œuvre est dense et peut se lire à différents âges. Les jeunes adolescents pourront suivre avec attention l’épopée lapine, tandis que les plus âgés, tout en se délectant des aventures, pourront aussi apprécier le sous-texte riche créé par Richard Adams.

Entre balade bucolique, épopée, fable écologique et interrogations sociétales, Watership down est loin d’être une simple histoire de lapin.

Paula Agnoux, AS, Edition-Librairie, 2018/2019

[1] LOCKLEY R.M., Private if of the rabbits, Londres, ed. Andre Deutsh, 1964.

Sources :
Site Monsieur Toussaint Louverture
http://www.monsieurtoussaintlouverture.net/
« Richard Adams au paradis des lapins », Libération, Déc. 2016

 

Biographie de l’auteur :

Nationalité : Angleterre
Né à  : Newbury (1920).
Mort en 2016.
Parachutiste pendant la Seconde Guerre mondiale, il a aussi été le bras droit du ministre l’Environnement, et a participé à la création d’une loi contre la pollution de l’air en 1968. Il commence à écrire à 52 ans les histoire inventée pour ses filles qui l’encouragent à publier.

 

Bibliographie non exhaustive :
La Jeune fille à l’escarpolette, Belfond, 1985 [parution originale 1980].
Les Chiens de la peste, Belfond, 1982 [parution originale 1977].
Le Chat du bord, Gallimard jeunesse, 1980 [parution originale 1977].