Littérature française

Isabelle STIBBE, Le roman ivre

Isabelle STIBBE,

Le roman ivre

Robert Laffont, 2018
Collection Les Passe-Murailles
ISBN 978-2-221-15794-7

Dans l’univers des Trois Mousquetaires...

Le roman ivre s’inscrit dans la collection « Les Passe-Murailles » de Robert Laffont, dirigée par Emmanuelle Dugain-Delacomptée qui a pour but de proposer des textes reliant différents arts ou proposant des réflexions sur la frontière entre fiction et réalité au sein même du roman. C’est ce dernier point qui fait tout l’intérêt de ce troisième roman d’Isabelle Stibbe, autrice déjà primée par neuf prix littéraires pour son roman Bérénice 34-44, une œuvre des personnages créés de toute pièce côtoient des personnes historiques dans un savant mélange, le tout documenté avec précision. Le roman ivre est une commande de Robert Laffont qu’Isabelle Stibbe a acceptée avec enthousiasme, enthousiasme qui se révèle communicatif durant la lecture.

« Mais qu’est-ce qu’un détail aussi infime qu’un pantalon quand on se retrouve tout à coup projeté dans Les Trois Mousquetaires, nez à nez avec Athos ? L’affaire était formidable, ou incompréhensible, ou les deux à la fois. » (p. 18 )

Le personnage de Camille, avocate à Paris, va se retrouver suite à une agression propulsée dans l’univers de roman d’Alexandre Dumas, soit au XVIIe siècle revisité par le XIXe siècle ! Elle y rencontrera Athos, qu’elle a toujours admiré et avec qui elle vivra des aventures dignes du roman de Dumas et ponctuant son quotidien du XXIe siècle. Le roman se découpe en trois parties, qui correspondent chacune à une ville : Paris, Montpellier, et Venise. Là les personnages évolueront dans le monde fictif des mousquetaires. On suivra tour à tour une intrigue à la Cour de Paris avec l’affaire de Camille dans le présent, une intrigue avec Athos dans Les Trois Mousquetaires, et une conversation que l’on devine être entre l’autrice et sa fille pendant l’écriture du manuscrit que l’on tient dans les mains. Ces passages, facilement repérables car constitués uniquement d’un dialogue en italique, sont ceux qui mettent en exergue la très fine frontière entre réalité et fiction dans le roman. « – Maman, tu ne serais pas en train de faire le portait de ton ancien patron ? Celui qui… – Cesse de m’interrompre tu me déconcentres. » Les interventions de ce genre nous proposent un nouvel angle de vue sur le récit que l’on est en train de lire. Il est vrai qu’il est difficile d’ignorer les similitudes entre Camille et l’autrice (la passion pour le roman d’Alexandre Dumas, des études de droit, etc.) : Camille devient alors le double de l’autrice dans une vie rêvée (la participation à un prestigieux concours d’éloquence d’avocat, la rencontre puis l’histoire d’amour avec Athos) et l’on ressent le plaisir pris par l’autrice lors de l’écriture de ce roman.

L’écriture est fine, précise et très souvent drôle, le nom des chapitres n’a en général rien à voir avec l’intrigue en elle-même, mais plutôt avec les conditions d’écriture. Ainsi le chapitre 7 s’intitule :

« Lequel décrit le concours de plaidoirie, écourté par l’autrice pour raison familiale. » et le chapitre 11 de la troisième partie : « Où l’autrice répare son oubli mais commet un anachronisme ».

En plus de cette fraîcheur apportée par l’humour et les traits d’esprit de l’autrice, Le roman ivre est une véritable déclaration d’amour à la littérature par son titre tout d’abord, qui est un clin d’oeil au poème d’Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre », dont la représentation murale rue Férou se révèle être le portail qui permet à Camille de voyager entre son époque et le monde fictif de Dumas. On y côtoiera Athos et D’Artagnan, mais aussi Cyrano de Bergerac, qui s’exprimera exclusivement en vers, comme il le fait dans la pièce de Rostand ; le personnage du fiancé de Camille, professeur de lettres en lycée, nous présentera sa passion pour Flaubert et pour Madame Bovary. À ces références littéraires s’en ajoutent de plus discrètes, offrant une véritable réflexion sur le roman et abordant des classiques comme La Dame aux Camélias de Dumas mais aussi des contemporains comme Réparer les vivants de Maylis de Kerangal… L’autrice rend un hommage tout particulier à Alexandre Dumas, non seulement en lui empruntant ses personnages le temps d’une bonne aventure, mais elle va jusqu’à jouer avec son écriture même, et proposer en guise d’ouverture de la deuxième partie quelques chapitres dans le style du romancier du XIXe siècle. Un pastiche assez réussi qui finit de compléter ce roman, plein d’humour et de références littéraires avec lequel on passe un excellent moment.

Le roman ivre est une petite friandise littéraire de 180 pages, durant lesquelles l’esprit du lecteur s’amuse, tout comme l’on devine celui de l’autrice lors de la rédaction du manuscrit. Le ton reste léger et frais du début à la fin : on survole rapidement les éventuels problèmes engendrés par l’intrigue (la liaison avec Athos n’est absolument pas considérée comme une infidélité envers le fiancé de Camille). C’est une bonne lecture entre aventure et humour, fiction et réalité, et ce moment partagé entre l’autrice et le lecteur se conclut par une chute des plus délicieuse que je vous laisse découvrir…

J.P., AS, Édition/Librairie, 2018-2019

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Pour la biographie de l’auteur

Nationalité : Française

Née à Paris, 1974

Elle a participé à plusieurs collectif pour les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française

Bibliographie
Bérénice 34-44Serge Safran éditeur, 2013, Le Livre de Poche, 2014 (9 prix littéraires)
Les Maîtres du printempsSerge Safran éditeur, 2015
Le Roman ivreRobert Laffont, 2018

Pour aller plus loin :

la collection Passe-Murailles de Robert Laffont : https://www.lisez.com/robert-laffont/collection-les-passe-murailles/87700