Littérature française

Virginie DESPENTES, Vernon Subutex. 

Virginie DESPENTES, Vernon Subutex. 

Grasset, 2015.
ISBN : 978-2-253-08766-3 

 

« La vie se joue souvent en deux manches : dans un premier, elle t’endort en te faisant croire que tu gères, et sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce » (p.14). 

De son premier roman Baise-moi à Apocalypse bébé, le style « trash » et cinglant de Virginie Despentes a su séduire et créer la polémique. La prostitution, la pornographie, l’homosexualité, la drogue ou encore le féminisme sont chez elle des sujets phare. Mêlant parfaitement la violence des mots à la violence des thèmes, le tome premier de la désormais célèbre trilogie Vernon Subutex, ne déroge pas à la règle. D’un ton intransigeant et violent, dans une langue qui mélange l’argot, le verlan et le franglais, l’écrivain nous livre un portrait bien sombre de notre société à travers les pérégrinations d’un ancien disquaire, autrefois reconnu et apprécié : Vernon Subutex. 

Au début du récit nous retrouvons ainsi un personnage énigmatique, survivant grâce à la générosité de son ami Alex Beach, chanteur célèbre qui paye généreusement le loyer de son appartement vide. Célibataire endurci, dépendant des films X et de la nicotine, devenu solitaire avec le temps, Vernon devra à la mort de son célèbre ami renouer avec la société et ses anciens amis. Expulsé de son appartement, il est alors en possession d’un enregistrement vidéo de son ami Alex. Un enregistrement précieux et convoité qui donnera lieu à une traque parisienne façon polar. L’auteur entame ainsi le récit d’un personnage à la dérive, repoussant incessamment sa chute, amorcée déjà lors de la vente de son magasin de disques des années auparavant.   

« Sexe, Drogue, et rock’n’roll » 

C’est un monde bien particulier que celui proposé par Virginie Despentes. Cigarettes, cocaïnes, alcools, actrices pornos et prostituées offrent en effet aux lecteurs un Paris étrange et déconcertant. La pornographie est ainsi naturellement évoquée et détaillée, le sexe et l’amour sont ici démystifiés. Un univers déroutant, brut et violent qui fait aussi écho au parcours personnel de l’auteur. A sa majorité, cette dernière a enchainé les petits boulots, tels que femme de ménage, prostituée via le Minitel ou critique de films pornographiques. Internée contre son gré en hôpital psychiatrique durant son adolescence, elle fut aussi victime d’un viol qu’elle racontera des années plus tard, dans son essai King Kong Théorie. Ancienne alcoolique, elle avouera aussi écrire sous l’emprise de stupéfiants. 

Cinéaste et ancienne disquaire, elle a enrichi son roman d’une multitude de références musicales et cinématographiques. L’itinérance de Vernon se fait ainsi au rythme du rock des années 80/90. Rattachée à l’ancienne profession de Vernon, la musique occupe un rôle central dans ce roman. Elle fait partie de Vernon, elle lui permet d’exister et de garder une identité. Elle montre aux lecteurs le monde tel que le voit Vernon, décrivant ainsi par sa seule évocation un personnage, un lieu, une émotion, mais aussi représentant souvent les souvenirs et la nostalgie d’une époque perdue. 

Vernon 

Vernon est le parfait représentant du concept « avoir été ». Vivant désormais sur ses souvenirs et ses regrets ou sur une certaine gloire passée, il n’est désespéramment pas en phase avec son époque. En effet, Vernon « est resté bloqué au siècle dernier, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir » (p.107). Virginie Despentes nous livre ici un personnage complexe et hors du temps : le dernier représentant d’un monde authentique fait d’insouciance et de simplicité. Un monde où le travail n’était pas un problème et où les relations sociales étaient faciles. Ses amis se sont adaptés et ont évolué, lui non. Le manque d’argent l’a conduit à une certaine honte et l’inadaptation à l’isolement. Nous retrouvons ainsi au début du roman un personnage solitaire réalisant aussi l’impact du temps sur la vie. L’écrivain décrit avec talent et simplicité le processus de l’exclusion sociale plaçant alors son personnage au cœur d’un monde modernement impitoyable. 

La « Comédie » moderne   

L’errance de Vernon permet aux lecteurs de pénétrer dans des foyers parisiens variés et d’explorer ainsi les rouages de notre société et les différents groupes sociaux. Passant de l’appartement bourgeois à la colocation douteuse, l’auteur nous dépeint une vaste fresque sociale composée de personnages aux conditions de vie et aux aspirations diverses, chacun étant le représentant de sa propre vérité. Leur accordant tour à tour la parole, elle nous livre, non sans ironie, les maux et les travers de notre société. Entre l’égoïsme et l’indifférence, elle offre aux lecteurs un portrait bien sombre des mœurs de notre époque, gouvernées par les réseaux sociaux, l’argent et le sexe. Une société égoïste et en perte de valeurs où « éliminer son prochain est la règle d’or » (p.11). Des petits problèmes du quotidien aux grandes causes, en accordant peu de place à l’espoir, l’auteur remue ainsi toutes nos angoisses, nos démons, et notre colère. Abordant tout au long de son roman le racisme, le féminisme, la difficulté des relations amoureuses, le capitalisme, l’homosexualité, la pornographie ou encore l’islam, elle s’ancre dans l’actualité faisant de ce récit un roman profondément moderne. 

Dans ce premier tome, Virginie Despentes nous fait le portrait d’un personnage ambigu. Un homme marginal et aux multiples travers qui nous apparait pourtant au fil des pages comme le personnage le plus noble et le plus humain du roman. Ce scan de la société, saisissant de vérité, lui a ainsi permis une comparaison avec La Comédie Humaine de Balzac. Forte de son succès, la trilogie fera prochainement l’objet d’une adaptation télévisuelle. 

Raphaële Devis, AS, Bibliothèques-Médiathèques, 2018-2019. 

Sources : 

Biographie de l’auteur : 

Nationalité : Française
Née à Nancy en 1969
 De son vrai nom Virginie Daget est un écrivain et une cinéaste française au parcours atypique. Autrefois prostituée occasionnelle, critique de films pornographiques et ancienne alcoolique, elle offre des récits où la drogue, le sexe et la violence sont omniprésents. Elle est également devenue une figure de la communauté lesbienne et promeut un nouveau féminisme. Depuis 2016, elle est membre de l’Académie Goncourt. 

 

Virginie Despentes, de son vrai nom Virginie Daget est un écrivain et une cinéaste française au parcours atypique. Autrefois prostituée occasionnelle, critique de films pornographiques et ancienne alcoolique, elle offre des récits où la drogue, le sexe et la violence sont omniprésents. Elle est également devenue une figure de la communauté lesbienne et promeut un nouveau féminisme. Depuis 2016, elle est membre de l’Académie Goncourt. 

Bibliographie non exhaustive de l’auteur : 

Baise-moi, Florent Massot, 1993.
Jolies choses, Grasset, 1998. Prix de Flore 1998.
King Kong Théorie, Grasset, 2006.
Apocalypse Bébé, Grasset, 2010. Prix Renaudot 2010.
Vernon Subutex 1, Grasset, 2015. Prix Anaïs Nin, Prix Landerneau, Prix de la Coupole.
Vernon Subutex 2, Grasset, 2015.
Vernon Subutex 3, Grasset, 2017. 

 Pour aller plus loin : 

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