Littérature française

Régis MESSAC, Quinzinzinzili

 Régis Messac, Quinzinzinzili

 

L’Arbre vengeur, 2007.
La Table Ronde
Collection La petite vermillon (n° 438), 2017
ISBN 978-2-7103-8157-0

« Moi, Gérard Dumaurier… »

Ainsi s’ouvre cet étrange roman. Cet homme « s’effrite » (p.24), mais doit raconter, même s’il ne sait pas si ces lignes seront lues. Alors il raconte. Il est le précepteur des deux enfants d’un Lord anglais quand la Deuxième Guerre mondiale se déclare. Il nous décrit avec précision l’absurde du conflit qui se décide en haut lieu. « Ce fut vraiment, le commencement de la fin » (p.43). Le Japon et l’Allemagne alliés contre les Américains, les Russes et les Français. Une nouvelle arme, inventée par un Japonais. Un gaz lourd, irrespirable et redoutable, le protoxyde d’azote « qui possédait de plus la faculté étrange de contracter les muscles zygomatiques, c’est-à-dire de faire rire. C’est de cette façon que les hommes devaient mourir… » (p.48).

Mais alors que le destin se joue entre les états, la vie ne s’arrête pas. On ne s’y attend pas.

« Le jour de colère » (p.55), celui de l’attaque finale qui anéantira l’ensemble de l’humanité, Gérard Dumaurier est avec les enfants dont il s’occupe et une poignée d’autres en excursion dans les grottes de montagne en Lozère. Ils seront donc les seuls survivants, se terrant quelques temps avant de sortir au monde.

« Le désastre est trop vaste pour un pauvre cerveau d’homme. » (p.70).

Son corps comme son esprit vacillent, mais il raconte. Il s’accroche à ses notes. Quand il finit par sortir de sa torpeur, il voit que les enfants ont avancé et prend conscience alors de cette nouvelle « société qui s’ébauche » (p.80). Il refuse d’en faire partie, l’observe, l’étudie, ne pouvant malgré tout son mépris survivre sans eux, mais ne voyant pas l’intérêt de les aider. Il a survécu à « leurs ancêtres » (p.80), et ne place aucun espoir dans « cette poignée de galopins, ignares, ahuris, vicieux, superstitieux et peureux. » (p.75).

Cela le renvoie à ce qu’il était ou n’était pas : comment transmettre quand finalement on ne sait rien du monde ? Il rit et s’en fout.

Les enfants sont plus créatifs que lui, plus sauvages aussi. Ils s’adaptent. A peine pubères au moment tragique, ils repartent à zéro et s’organisent, réinventent, sans trop s’encombrer de souvenirs.

Une langue à eux d’abord, simplifiée et au vocabulaire appauvri, que je vous laisse découvrir entre ces pages et qui vous permettra de comprendre ce titre mystérieux. Une sorte de religion aussi verra rapidement le jour, avec ses rites et son « dieu bizarre et enfantin » (p.91).

Et la violence, dès les origines. Une violence qui ne semble choquante pour personne dans le petit groupe. Il n’y a plus d’empathie dans ce monde-là. Ils réinventent successivement la guerre, l’amour, la haine, la jalousie et l’assassinat.

« La farce continue » (p.131).
Si vous les aimez noires, cette farce tragique ne vous laissera pas insensible.

 

Le « témoin d’une époque tordue » [1]

Régis Messac est né à Champagnac le 2 août 1893, fils d’une institutrice et d’un inspecteur du primaire. Il est en khâgne au lycée Condorcet à Paris, et prépare le concours d’entrée à l’École normale supérieure quand il est mobilisé en 1914. Rapidement blessé d’une balle dans la tête, il subira une trépanation. C’est pendant sa convalescence qu’il obtiendra sa licence de lettres, en 1915, avant de réintégrer l’armée. Profondément pacifiste et antimilitariste, il refusera toute promotion, mais ne sera démobilisé qu’en 1919.

Bien que pensant l’école comme étrangère à la vraie vie, il enseignera. En France d’abord dans un lycée, avant de partir en Ecosse, puis au Canada, où il occupera un poste de professeur à l’université McGill pendant 5 ans.

De retour en France en 1929, il soutiendra sa fameuse thèse sur le roman policier, qui lui permettra d’obtenir le titre de docteur ès lettre. Sa mention très honorable et son parcours ne lui permettront jamais de passer les portes de l’université dans son propre pays.

Il ne cessera jamais d’écrire, et son intérêt pour tout ce qui concerne la nature humaine est sans limite. Des articles, des chroniques sociales, scientifiques et politiques, des nouvelles et des fictions, il est difficile d’établir sa bibliographie précise et complète.

C’est à cette époque qu’il créera la collection « les Hypermondes », connue pour être la première collection de science-fiction française, dans laquelle le fascinant et provocant Quinzinzinzili sera édité en 1935, tristement prophétique.

Régis Messac n’a rien de son narrateur. Cet esprit libertaire, protestataire, pacifiste et anarchiste ne restera jamais les bras croisés face aux aberrations de l’humanité. Quand la Deuxième Guerre mondiale prédite éclate, il s’engage dans la constitution d’un mouvement de résistance communiste, et sera arrêté en 1943, avant d’être déporté Nacht und Nebel. On perd sa trace au camp de concentration de Gross-Rosen en 1945, où il aurait participé aux marches de la mort.

A titre posthume, il recevra la Croix de guerre, la Légion d’honneur et les galons de sous-lieutenant. Adepte de l’humour noir, on ne peut qu’espérer qu’une telle dérision l’aurait amusé.

« Ce futile espoir, parfois, m’encourage à écrire. J’écris – il me semble que j’écris pour l’humanité future – si jamais, dans le futur, il y a encore une humanité. Je vais faire œuvre d’historien. Une histoire qui n’aura sans doute jamais de lecteurs » (p.28)

[1] p. 9 de la préface d’Éric Dussert, écrite pour les éditions L’arbre vengeur en 2007

 

Sources
Le site de l’éditeur, [consulté le 10/10/2018]

Natacha Vas-Deyres, pour la revue Nuit blanche, le magazine du livre (Numéro 128, Automne 2012, p. 82–86), « Les IMAGINAIRES de la FIN : la FICTION et la SCIENCE », http://id.erudit.org/iderudit/67773ac [consulté le 10/10/2018]
Préface de Quinzinzinzili , Éric Dussert, 2007 aux éditions L’Arbre vengeur

Biographie de l’auteur

Nationalité : française
Né  en 1893 (Chmpagnac – mort en 1945.
Régis Messac est l’un des premiers en France à étudier les genres littéraires dits populaires tel le roman policier auquel il consacre une thèse.
Auteur de nombreuses dystopies, il était militant pacifiste et libertaire.

Bibliographie
Le « Detective Novel » et l’influence de la pensée scientifique, Les Belles Lettres, 2011
La Cité des asphyxiés, éditions Ex nihilo, 2010.
Valcrétin, éditions Ex nihilo, 2009

Pour aller plus loin
Mauvais genres par François Angelier :
« GRAMMAIRE DU VERTIGE : Régis Messac, Bernard Quiriny », émission du 17/03/2012