Littérature américaine

Ray BRADBURY, Chroniques martiennes

Ray BRADBURY, Chroniques martiennes

Traduction depuis l’anglais (États-Unis) par Henri Robillot, révisée par Jacques Chambon
Titre original : The Martian Chronicles, Doubleday, New York, 1950.
Denoël, coll. Présence du Futur, n° 1, Paris, 1954.
Gallimard, coll. Folio SF, n° 45, Paris, 2001.
ISBN 978-2-07-041774-2

Au cours de vingt-huit nouvelles parues dans divers magazines entre 1945 et 1950 ou écrites spécialement pour l’occasion, Ray Bradbury nous conte la colonisation de la planète rouge par l’humanité.

Marching to Mars

Chroniques Martiennes est unanimement considéré comme un classique de la littérature de science-fiction. Il est notamment cité dans Les 100 principaux titres de la science-fiction d’Annick Béguin ou dans le classement « Les cent livres du siècle » établi par le journal Le Monde au printemps 1999. L’auteur connaîtra le succès et gagnera une notoriété internationale grâce à ce livre.

Cependant, Bradbury lui-même ne semble pas considérer ses Chroniques Martiennes comme de la science-fiction, jugeant que cette définition leur convient mal (notamment en raison des nombreuses libertés prises avec la science et la physique), et déclarant dans un entretien au magazine Weekly Alibi qu’il les voit plus comme de la fantasy, voire comme un équivalent des mythes grecs. Ces propos corroborent ceux tenus dans la préface de l’édition révisée de 1990, dite du « quarantième anniversaire » :

« Très bien, alors, les Chroniques, c’est quoi ? C’est Toutankhamon extrait de sa tombe quand j’avais trois ans, les Eddas islandais quand j’avais six ans et les dieux gréco-romains qui me faisaient rêver quand j’avais dix ans : de la mythologie à l’état pur. Si c’était de la science-fiction bon teint, rigoureuse sur le plan technologique, elle serait déjà en train de rouiller au bord de la route. » (p. 13)

L’une des particularités du livre est sa nature de « fix-up », terme anglophone désignant un recueil de nouvelles d’un même auteur tournant autour d’un même thème. Ce terme fut inventé par A. E. van Vogt, contemporain de Bradbury et, comme lui, l’un des chefs de file de l’âge d’or de la science-fiction américaine avec, entre autres, Isaac Asimov, Frank Herbert, Robert A. Heinlein, ou encore Arthur C. Clarke. Il est à noter que si le « fix-up » est souvent associé à la science-fiction, il peut aussi ne pas être rattaché à ce genre.

Life on Mars?

Les Martiens du livre, loin d’être des petits hommes verts, sont grands, ont la peau bronzée et les yeux dorés. Et surtout, ils sont une espèce sur le déclin qui finit par disparaître devant l’arrivée massive des colonisateurs humains, prouvant que l’histoire est un éternel recommencement, sur Terre ou ailleurs. D’ailleurs, ce sont plus les « envahisseurs » que les autochtones qui apparaissent comme sujets d’étude, notamment leurs tendances destructrices, qu’elles soient envers autrui ou envers eux-mêmes et leur propension à transformer un paradis en enfer.

Il est intéressant de voir que des thèmes graves et sérieux comme le racisme (les Noirs d’Amérique décident de tout quitter sur Terre pour tenter l’aventure sur Mars) ou la religion (un révérend compte bien apporter le christianisme aux populations extraterrestres) sont contrebalancés par des sujets apparemment plus légers :

«  À présent, fit le capitaine d’une voix lointaine, je comprends pourquoi tout le monde nous donnait des petits mots et nous renvoyait de l’un à l’autre […]. Voilà où on se retrouve…
Où ça, chef ?
Dans un asile de fous , lâcha le capitaine dans un souffle. » (p.55)

Mars, the Bringer of War

Mais l’un des thèmes les plus visibles, que l’on pouvait déceler en sous-texte dans certaines nouvelles et qui apparaît clairement dans le dernier quart du récit, est le danger de l’atome, particulièrement dans « Morte-saison » et « Viendront de douces pluies » :

« La Terre changea dans le ciel noir.
Elle s’embrasa.
Toute une partie parut s’en détacher en un million de morceaux, comme si un gigantesque puzzle venait d’exploser. Durant une minute, elle brûla avec un éclat impossible, trois fois plus grosse que la normale, puis diminua progressivement. » (p.264)



Spectateurs impuissants de l’apocalypse nucléaire, un vendeur de hot-dogs et sa femme : lui panique avant de sombrer dans le mutisme, elle se retrousse métaphoriquement les manches. Le calme et l’ironie mordante avec lesquels elle confie à son mari que cet événement signifie pour eux la morte-saison font froid dans le dos.

Pour l’anecdote, notons que la dernière nouvelle du recueil est paradoxalement la première que Bradbury ait écrite. C’était au cours de l’été 1946, soit un an après les bombardements atomiques américains d’Hiroshima et Nagasaki.

En fin de compte, Chroniques Martiennes ne saurait laisser indifférent : en parcourant ces nouvelles, on rêve, on voyage, on tremble, on rit, mais surtout, on réfléchit. Sur nous, notre place dans la galaxie, et ce qui nous caractérise en tant qu’humains, en bien ou en mal. C’est là indéniablement la marque des grands écrivains.

Romaric Perrat, 1A,  Bibliothèques, médiathèques et patrimoine , 2019-2020

Sources :
Entretien avec Alibi Weekly (consulté le 12/10/19)
Page Wikipedia de l’auteur  (consulté le 12/10/19)
Page Encyclopædia Universalis de l’auteur  (consulté le 12/10/19)
Page NooSFere de l’auteur (consulté le 12/10/19)
Site officiel de l’auteur  (consulté le 12/10/19)

Biographie de l’auteur

Nationalité : Américain
Né à : Waukegan (Illinois), 1920
Mort à : Los Angeles (Californie), 2012

Ray Bradbury a commencé à écrire alors qu’il n’avait même pas vingt ans. Grandement influencé par Poe et les deux pères de la science-fiction contemporaine Verne et Wells, il a pourtant toujours considéré écrire majoritairement de la fantasy, déclarant qu’il n’avait jamais écrit qu’un seul roman de science-fiction.

Bibliographie non exhaustive :
L’Homme illustré, Denoël, coll. Présence du Futur, n° 3, Paris, 1954 – The Illustrated Man, Doubleday, 1951
Fahrenheit 451, Denoël, coll. Présence du Futur, n° 8, Paris, 1955 – Fahrenheit 451, Ballantine Books, 1953
Les Pommes d’or du soleil, Denoël, coll. Présence du Futur, n° 14, Paris, 1956 – The Golden Apples of the Sun and Other Stories, Doubleday, 1953
La Foire des ténèbres, Denoël, coll. Présence du Futur, n° 71-72, Paris, 1964 – Something Wicked This Way Comes, Simon & Schuster, 1962
Aux portes de l’épouvante (coécrit avec Robert BLOCH), Marabout, coll. Marabout Fantastique, N° 354, 1970 – Fever Dream & Other Fantasies, Sphere, 1969

Pour aller plus loin :
à lire sur Mars :
H. G. WELLS, La Guerre des Mondes
Edgar Rice BURROUGHS, Le Cycle de Mars
Fredric BROWN, Martiens, Go Home!
Robert A. HEINLEIN, En terre étrangère
Kim Stanley ROBINSON, La Trilogie de Mars

à lire sur l’auteur :
Jerry WEIST, Bradbury: An Illustrated Life: A Journey to Far Metaphor
Sam WELLER, The Bradbury Chronicles: The Life of Ray Bradbury
Jonathan R. ELLER, Ray Brabury: The Life of Fiction

à écouter :
Gustav HOLST, Les Planètes, Op. 32 – Mars, celui qui apporte la guerre (joué par l’orchestre symphonique de Chicago sous la direction de James LEVINE) :


David BOWIE, Life on Mars? (Serious Moonlight Tour) :