Littérature argentine

Julio CORTÁZAR, La porte condamnée et autres nouvelles

Julio CORTAZAR, La porte condamnée et autres nouvelles fantastiques

Quand la banalité du quotidien ouvre ses portes au fantastique.

L’univers de l’auteur argentin Julio Cortázar est une vaste fresque qui mêle de manière subtile le réel au fantastique. Les quatre nouvelles de ce recueil nous plongent dans quelques heures, quelques jours ou quelques nuits de personnages étonnamment humains, qui pourraient être de notre famille ou voisinage. L’apparente banalité de ces personnages crée une expérience de lecture d’autant plus enrichissante pour le lecteur. C’est là le talent de l’auteur, qui passe d’écrivain à alchimiste, et réussit à de transformer ce que nous connaissons en situations irrationnelles.

Dans cet ouvrage à la fois émouvant et inquiétant, on trouve quatre textes qui ont la valeur de quatre portes vers le rêve et l’étrange. Que cela soit par les yeux d’un enfant, d’un mélomane, d’un insomniaque ou d’un blessé, le lecteur trouvera dans ce recueil le chemin qui l’éloignera de la banalité du quotidien. Julio Cortazar est né en 1914 à Bruxelles mais a grandi à Buenos Aires, en Argentine. Il publie le recueil Fin d’un jeu en 1956, c’est de ce recueil que sont issues les nouvelles de La porte condamnée. Nous devons leur assortiment à Laure Guille-Bataillon qui, en plus d’avoir traduit ces textes, les a agencés de manière à créer un crescendo dans la présence et l’impact du fantastique. Alors que la première nouvelle nous dévoile ce qui est fantastique du point de vue d’un enfant, la dernière met en confrontation notre monde et son opposé, qui, selon la logique, est totalement imaginaire. Les réponses aux questions implicites du texte sont également de plus en plus floues à fur et à mesure des pages, et si l’on tente de garder un peu d’objectivité, on ne sait finalement plus quelle situation représente « le mensonge infini de ce rêve » (p.102). C’est un choix qui permet de mettre en avant et de mieux faire accepter au lecteur l’atmosphère si particulière du recueil, cette atmosphère qui nous est à la fois extrêmement familière et totalement détachée du champ du réel.

Il est simple de se sentir concerné par un récit quand il commence in medias res, en ces termes : « Don Perez me conduisit à ma place après m’avoir tendu un programme imprimé sur papier crème » (p.59) ou bien en nous annonçant que « Le samedi à midi, l’oncle Carlos est arrivé avec la machine à tuer les fourmis » (p.11). S’ajoute à cela la façon qu’a l’auteur de jouer avec deux formes narratives. La narration interne nous montre les faits à travers le regard d’un personnage. La narration externe nous permet de poser notre regard sur les protagonistes comme si nous regardions un tableau et nous apporte donc plus de réponses.

Une autre force de cet ouvrage est de raconter à la perfection les comportements humains dans des situations étranges. En effet, l’aspect fantastique de ces textes n’est pas évident au premier abord. Mais le charme de ces nouvelles réside également dans le temps que nous prenons à les apprivoiser, à lire entre les lignes et, finalement, à trouver le chemin qui nous fera sombrer dans les intrigues, et perdre pied avec la réalité. Faire sortir le spectateur de son quotidien sans le brusquer, le faire s’interroger sur cet aspect psychologique du fantastique, lui faire chercher la frontière entre son monde et celui du rêve, c’est tout l’enjeu de cette œuvre. Nous découvrons au fil des mots le moment où tout bascule, ce moment est parfois flou mais peut aussi nous ouvrir brutalement les yeux. C’est le moment où «[on] n’y tint plus, de spectateur [on devient] acteur » (p.78).

Mais à trop réfléchir sur le sens du fantastique, nous nous emprisonnons et risquons de nous retrouver face à « La porte condamnée » (p.39). Elle est synonyme d’angoisse. Cortázar nous le montre et nous incite à parfois accepter les choses comme elles sont, à l’image de cet enfant qui rentre dans le monde adulte malgré l’aspect dangereux sous lequel on lui présente. Ce fait est également remarquable dans le style d’écriture de l’auteur. Les phrases et le vocabulaire employé sont plutôt simples. C’est une force que la traductrice a retranscrite à la perfection, de manière à rendre les textes accessibles à tous.

En résumé, quatre nouvelles, quatre situations initiales simples et ordinaires. Un enfant qui voit le fantastique dans le monde des adultes, un insomniaque qui se confronte au monde étrange de la nuit, un mélomane qui sombre dans l’effervescence d’une folie musicale, un blessé qui, dans sa fièvre, ne trouve plus le monde duquel il vient. Ce sont quatre routes que nous avons empruntées où emprunterons peut-être un jour, des routes qui nous conduisent vers ces mondes fantastiques. Ces derniers, par le talent d’écriture de l’auteurs, nous semblent étonnamment proches et accessibles, mais cela, uniquement à condition de laisser sa réserve, son appréhension et son scepticisme de côté.

Manon Diguet, 1A, Edition-Librairie, 2019-2020.

Sources :
Préface du recueil.

Biographie de l’auteur :

« / »

 Né à : Bruxelles, 1914.
Mort à : Paris, 1984.
Nationalité : Française (depuis 1981)

Langue d’écriture : espagnol.

Bibliographie :
Les armes secrètes, Gallimard, 1963 (Las armas secretas, ed. Editorial Sudamericana, 1958)
Bestiaire, Gallimard, 1968 (Bestiario, ed. Editorial Sudamericana, 1951)
Livre de manuel, ed. Gallimard, 1987 (prix Médicis étranger) (Libro de Manuel, ed. Editorial Sudamericana 1972)
Fin d’un jeu, ed. Gallimard, 2005 (Final del juego, ed. Los Presentes,1956)

Pour aller plus loin :
Julio CORTÁZAR – Un siècle d’écrivains : 1914–1984 (documentaire sur la vie de Cortazar, France 3, 1998)