Littérature française

Benoît LEMENNAIS, Des îles au creux du ventre

Benoît LEMENNAIS, Des îles au creux du ventre

La Renverse, 2016
ISBN 979-10-94726-06-8

Voyage au creux du ventre de la poésie

“Il faudra cabrer l’expérience // Précipiter l’entendement”.

Tel est le programme de ce recueil paru en 2016 aux éditions La Renverse. Cette petite maison a à coeur de montrer la poésie de notre quotidien en donnant leur chance aux premières oeuvres d’artistes et poètes qui voient de la poésie dans un jeu d’enfant, dans une matinée pluvieuse ou dans une balade urbaine.

En acceptant de lire ce recueil, le lecteur entreprend de voyager depuis l’exiguïté d’une chambre remplie des bruits du quotidien aux terrains de jeux que s’inventent les enfants en passant par les méandres de l’esprit humain torturé par le désir et la peur.

Ce recueil est le premier d’un homme qui n’est pas seulement un artiste, mais aussi un chercheur, un aventurier des mots. Il tente tout au long de ses textes d’explorer toute la complexité du corps et des sensations que nous pouvons expérimenter depuis l’enfance jusqu’à la peur de la mort. Le poète construit sa poésie avec méthode, il nous offre des fragments de vie et de ressenti, de peur et d’amour.

Du rêve à la réalité, un monde d’adulte

Le programme de cette expérience commence par une introduction dépouillée évoquant l’amour entre deux êtres mais aussi et surtout des corps tendus par le désir et par l’attente du mouvement. Les sens et le corps sont au centre de la réflexion du poète. Les poèmes font appel à tous les sens. Le bruit, l’odeur et le toucher sont particulièrement représentés. Cette attention particulière pour décrire avec autant de précision, avec autant d’images, tous les ressentis des corps et tous les états d’âmes, permet une expérience non seulement poétique, mais aussi sensorielle, originale. Il est de prime abord assez simple de rentrer dans l’univers proposé qui commence presque à la manière d’une fiction romanesque. Pour autant, il est impossible de confondre les deux genres puisque la lecture de ces textes apparaît comme une expérimentation pour le poète comme pour le lecteur :

Chaque quart, des cloches cinglaient avec fracas, assourdissant tout, brouillant même la vision des contours qui semblaient vibrer avec résonance”

C’est également l’histoire de la fin d’un rêve, la narration d’un dur retour à la réalité après l’exaltation de la rencontre, la fin d’un voyage passionnel qui transforme l’allégresse en bonheur paisible puis en routine lassante mais toujours à deux. C’est également la fin d’une lecture tranquille pour le lecteur : si jusqu’ici la lecture était agréable et aisée en partie grâce à son originalité, les choses se corsent pour le lecteur au fur et à mesure que le poète plongera dans les abysses de son désir d’expérimentation poétique et émotionnelle.

De la réalité au rêve, un monde d’enfant

L’expérience de la corporalité selon Benoît Lemennais ne peut cependant se réduire à l’exploration érotique du corps des amants. Il entreprend également la tâche complexe d’aborder le corps de l’enfant dans tout ce qu’il peut avoir de plus candide. On retrouve cependant dans cette nouvelle thématique ce même attachement aux sensations, aux odeurs et aux bruits. Le poète nous dépeint une enfance qui s’envole vers le fantasme, le fantastique presque où tout élément du quotidien sera transformé au gré de leur imagination foisonnante. Nous suivons comme une aventure le périple de ces enfants pour qui tout est un jeu, un défi à relever, des territoires à conquérir. Et c’est au travers de ces aventures enfantines que nous entrons enfin dans l’île. Pour encore quelques pages, il est possible de comprendre, d’entrevoir l’objectif esthétique et profond des textes même si déjà les associations étonnantes se multiplient et le propos devient moins limpide.

L’île aux multiples facettes

Cette introduction à l’île qui est tout d’abord représentée comme accessible, un désir, un fantasme de conquête, est aussitôt mise à côté d’un sentiment de peur bien éloigné du sentiment de plénitude du début du recueil. Il semble que les poèmes aient été mis dans un ordre un peu anarchique. Cela conduit à une expérience nouvelle où la première chose que nous vivons n’est pas l’enfance et la dernière n’est pas la mort.

Nous voguons désormais sur toutes les douleurs et les souffrances que peut expérimenter un mélange de sentiments forts comme la peur de mourir et la douleur des plaies ouvertes.

Et puis, c’est le  retour à la douceur de la description d’un corps rond et sans accrocs magnifiquement représenté par les illustrations d’Amélie Delaunay.

“Tu transbordes le paysage. le compas de tes coudes s’évase en angle obtus. Tes poignets moulinent des omégas. Tes omoplates roulent des arêtes de stégosaure. Ta langue feule la prophétie de ton réveil. Comme toi, la ville s’étire.”

A la fin de la lecture nous pouvons nous rendre compte que ce recueil peut se lire en boucle. Les textes s’enchaînent de façon cyclique. Le poète n’évite cependant pas certains écueils d’une première oeuvre. Parfois le désir d’expérimentation poétique et de lyrisme n’est certainement pas bien canalisé. En résulte une lecture nébuleuse et, selon les textes, laborieuse  notamment à cause d’un emploi excessif des adjectifs.

Finalement ce sont des textes parfois saccadés, parfois violents, souvent mélancoliques et toujours poignants que nous livre le poète. Le saut d’un poème à l’autre se fait sans heurt et nous pouvons dévorer allègrement le contenu de ce recueil. Texte et illustrations se complètent harmonieusement. Ces dernières, très arrondies, éclairent d’une façon originale un texte qui permet au lecteur non pas de lire mais bien d’expérimenter, d’une façon nouvelle, la poésie.

Sources :
Biographie de l’auteur sur le site de la maison d’édition.
Biographie de l’illustratrice sur le site de la maison d’édition.
Editions La Renverse

Biographie de l’auteur :

Nationalité : Française

Né à : Caen, 1978

Curieux, il explore de multiples formes d’art dont le théâtre et la vidéo. Il ouvre en 2015 l’Agence Primate, un laboratoire de tentatives. Il publie son premier recueil de poésie illustré par Amélie Delaunay en 2016