Littérature française

David BRY, Que passe l’Hiver

David BRY, Que passe l’Hiver

Les Éditions de l’Homme Sans Nom, mai 2017.
ISBN : 978-2-918-54158-5

Quand l’ode fantastique se raconte en huis-clos

On a tendance à associer la littérature de l’imaginaire, en particulier la fantasy, aux grands voyages, aux races plus originales les unes que les autres et aux quêtes millénaires. Et si pour une fois l’on redescendait de ces vastes cieux pour prendre une hauteur d’homme, concentrant notre récit sur ce que le destin nous réserve, à la croisée des âges ?
Un cadre on ne peut plus simple à visualiser, semblant même dénué de fantastique, et pourtant sujet à d’infinies possibilités, pour peu que l’on prête attention aux contes qui se transmettent au coin du feu.

C’est là le terrain d’écriture de David Bry.

Un drame shakespearien au rythme nordique

Stig est le fils cadet d’un des quatre clans qui se partagent le monde du Nord et ses forêts ancestrales. Tous sont serviteurs du Roi dans la Clairière, fils et émissaire d’un dieu sombre et ancien, créateur des hommes, maintenant reclus dans les profondeurs de la terre.

L’année de ses vingt ans, le jeune Feyren, clan aux pouvoirs de transformation animale, peut enfin se joindre à son aîné et leur père pour le rassemblement du Solstice d’Hiver, l’occasion pour tous les clans de renouveler leur serment au roi dans sa Clairière, sur le Wegg.

Mais là où tout aurait dû n’être que célébration et liens sincères à leurs légendes, Stig voit passer devant ses yeux nombre d’accidents, de disparitions et de morts. Dans sa désillusion de voir le Solstice vaciller, et alors que le roi lui porte un intérêt particulier, lui se sent visé. Non pas qu’il soit un danger, gringalet au pied bot dont la seule transformation est un corbeau. Seulement il connaît mieux que n’importe qui les légendes de la Clairière, et en ces temps où les hommes se délient de leurs serments, lui devra se battre pour comprendre les siens et ne pas les perdre.

Le coupable, l’Homme

David Bry nous emmène dan une longue enquête au dénouement mystique, bien loin des sentiers des polars habituels. Laissons de côté les motivations claires. Ici les hommes font appel à leurs instincts égoïstes, à leurs peurs qui semblent décalées pour ceux qui viennent de les rejoindre, au milieu de cette guerre meurtrière mais silencieuse, quatre jeunes adultes, un par maison. L’auteur nous amène à voir son monde sous des yeux nouveaux, qui n’en connaissent que les légendes sans qu’on leur ait parlé de ses folies humaines. Pas d’ennemi en particulier, l’Homme est entièrement coupable. De ceux qui agissent dans l’ombre aux spectateurs innocents, tous se sont retrouvés ici dans la Clairière pour en finir. Même le Roi dans la Clairière tient plus de l’humain que du demi-dieu, si l’on omet ses bois de cerf et ses yeux d’un noir profond, que l’on croirait volontairement éteints en raison de ce monde si vil sur lequel il gouverne.

Il n’est pourtant pas question d’un châtiment divin qui devra s’abattre sur les hommes, pas question non plus d’un tribut dont eux seuls, esclaves d’une autre force, devront s’acquitter. Stig le sait. Il n’y a rien de plus qu’une puissance qui n’aspire qu’à guider vers le bien son peuple. Et face à cela, l’inévitable mise à mort des hommes par les hommes.

La tragédie à l’honneur

Car la mort, bien qu’ omniprésente, fait partie d’un tout, d’un destin qui se tisse sous les yeux des personnages, impuissants face à ce géant de fils et de prophéties. En hommage à certaines divinités grecques, les membres du clan Oren peuvent même voyager dans leurs rêves et voir, sur la montagne du Destin, les différents liens que leur dieu tisse petit à petit. Plus ils remontent, plus ils se perdent dans leur folie, car connaître une mort inévitable peut être lourd de conséquences :

« Que passe l’hiver sur la Clairière
Aux étranges trouées sombres,
A la magie puissante et aux mystères sans fin,
Aux dieux, aux hommes si cruels.
Que passe l’hiver sur un roi,
Mi-dieu mi-homme, au destin funeste ;
Sur celui qui devina la mort de ses terres,
Ne put s’y résoudre.
Que passe l’hiver, oui.
Mais qu’en restent les souvenirs. »

1ère Strophe, celle du prélude

Ici, chaque chapitre commence par une strophe, morceau d’un chant ancien propre au monde de Stig, que l’on retrouvera complet à la fin de l’ouvrage. Chacun de ces passage fait le lien entre les événements de chaque chapitre, déroulant au final le récit d’une tragédie, le combat inévitable de ces hommes et femmes, aux limites du réel, de ceux qui n’ont pas demandé tant de pleurs et qui ne souhaitent, Stig le premier, qu’une seule chose : que passe l’hiver.

La fin d’une légende ? ou son début

David Bry maîtrise à la perfection les codes de l’imaginaire et en même temps du polar. On visualise aisément les différents pouvoirs et personnages qui s’animent sur les pages, et même dans le cadre d’une chasse à un Graal, on en vient à se joindre aux pensées de Stig et à se demander qui a fait le premier pas dans la chute de cette harmonie, par quel moyen, et pourquoi. Pour autant, les codes de son univers se révèlent à nous petit à petit, avec une parcimonie maîtrisée. Les strophes, qui semblaient au début une simple fioriture du récit, prennent de plus en plus d’importance au fil du récit et nous finissons par les interpréter ligne pour ligne, mot pour mot. N’est-ce pas là le but d’une légende ? Chacun y voit son interprétation, et la fin même du récit est celle d’un destin aux mille surprises, qui ne s’arrête jamais vraiment.

On repose alors l’ouvrage en ayant lu tout du long une légende, un conte, par les yeux d’un ménestrel l’ayant vécu, et qui nous laisse entourés d’images et de sensations, pris par cette aventure aux confins du froid mordant, « pris dans le maelstrom d’un monde qui se meurt, peut-être… »

Léo Brahim, 2A, Édition-Librairie, 2019-2020

Sources
Editions de l’Homme sans nom
Présentation du livre par David Bry au festival Les Imaginales, vidéo libraire Mollat.
Fiche auteur Babelio (page fournie, précise et agrémentée d’une interview).

Biographie de l’auteur

Nationalité : France

Né en région parisienne, 27/11/1973.

Biographie non exhaustive

La trilogie de La seconde chute d’Ervalon, Collection Icares, éditions Mnémos, 2009.
2087, Black Book Editions, 2012.
Que passe l’Hiver, Les Éditions de l’Homme Sans Nom, 2017, finaliste du prix des Imaginales 2018.
Le garçon et la ville qui ne souriait plus, collection Lynks, Éditions Lynks, 2019.