Littérature française

Jean-Yves CENDREY, La sexualité bordelaise comme ma poche

Jean-Yves Cendrey, La sexualité bordelaise comme ma poche.

Récit à caractère férocement provincial et tendrement cochon

L’ Arbre vengeur, 2018.
ISBN : 979-10-91504-78-2

Une drôle Histoire de la sexualité

« ATTENTION / CONTENU STRICTEMENT RÉSERVÉ AUX ADULTES » (p.9).

Jean-Yves Cendrey commence son livre par une cinquantaine de lignes qui ressemblent plus aux contrats qui s’affichent lorsque l’on essaie d’accéder à un site faisant la promotion de la pornographie que de l’introduction classique d’un roman. A la fin de cette mise en garde très protocolaire, il nous propose soit d’entrer dans le livre, soit d’en sortir, selon selon que l’on est mineur ou non. Je rajouterais : « Attention, si vous êtes un amoureux de Bordeaux ou que vous êtes vous-même bordelais, cet ouvrage pourrait vous offenser (pour entrer dans cette critique cliquez sur ENTRER / sinon cliquez sur SORTIR). »

L’auteur amorce cet ouvrage comme une biographie de Pierre Molinier, un artiste photographe, peintre et poète français, qui est devenu célèbre grâce à ses tableaux et photomontages érotiques dans lesquels il se met lui-même en scène. C’est un artiste avant-gardiste qui a fait des expérimentations érotiques et des créations surréalistes. Mais on comprend qu’il y a une narratrice principale, fille de la romancière Yvonne Bérouf, qui raconte son histoire. Elle nous raconte comment elle a repris le manuscrit de sa mère sur Pierre Molinier afin de le mettre au propre et de le terminer. On découvre, en même temps qu’elle, que Pierre Molinier pourrait être son père : on suit donc la quête ou l’enquête de cette jeune femme bordelaise sur l’identité de son géniteur.

L’auteur est très provocateur et on comprend vite l’utilité de la prévention qu’il a faite au début du récit. En effet, il nous parle d’une œuvre de Molinier qui le représente en train de pratiquer une auto-fellation. Mais on rentre de manière très brutale dans l’histoire à la page 18, où l’auteur nous raconte avec détails un supposé acte nécrophile et fétichiste de la part de Molinier sur sa sœur. Pour rajouter en intensité, l’auteur rapporte cet évènement en citant la parole de Molinier. Mais cette information est fausse (oui, j’ai essayé de chercher… ) et l’auteur n’apporte aucune preuve ou référence pour étayer son propos. Il utilise ici un procédé qu’il reprendra très souvent dans ce roman, l’exagération. En effet, Pierre Molinier est connu pour être un fétichiste des jambes et pour mélanger son sperme à ses couleurs pour peindre. Je dirais que, dans cet ouvrage, tout n’est pas faux, tout est exagéré.

On est très vite pris par l’humour de l’auteur après ce passage où l’on sort définitivement du livre. Mais si, comme moi, vous adorez les séries, films et documentaires sur les tueurs en séries dont abonde Netflix, vous poursuivrez votre lecture sans esquisser le moindre geste de surprise.

A part ces quelques passages, il y a peu de moments choquants dans le récit. Quelques autres passages comme le précédent viendront réveiller la lectrice ou le lecteur au gré du récit. Ces passages sont surtout là pour se moquer de la sexualité des Bordelais qui, sous leurs airs pincés, auraient des pratiques très débridées selon l’auteur.

Ce qui surprend aussi dans ce passage, c’est le fait que l’auteur ne justifie pas ce qu’il avance par des références. Pourtant, tout au long du récit qu’il construit, il fait souvent appel à des sources pour nous montrer que son texte n’est pas simplement une simple satire, mais aussi un texte travaillé. Il saute de référence en référence, noms d’artistes en tout genre, noms de lieux, événements historiques, périodes artistiques…

En effet, le texte foisonne de références et de citations et part dans de nombreuses digressions. Par exemple, après un passage particulièrement peu ragoûtant, l’auteur nous fait la fiche d’adoption d’un chat, « Bonzaï est un grand chat encore un peu farouche et même timide. Il faut faire attention à ne pas faire de gestes ou de bruits brusques. » (p.27). Cette fiche continue pendant une bonne demi-page, sûrement pour nous changer les idées. Lorsqu’il parle des animaux, il dénonce à plusieurs reprises les violences qui leur sont faites. L’exemple le plus frappant est la recette de la lamproie pour laquelle il n’a même pas besoin d’exagérer afin de rendre le supplice que subit cet animal.

Je voudrais relever ici un jeu que va mettre en place l’auteur avec les lecteurs·rices en utilisant les parenthèses. C’est un procédé qu’il utilise énormément pour faire répondre sa narratrice à elle-même, ou pour faire une remarque parfois peu utile. On ne sait pas toujours à qui il s’adresse, les remarques sont peu logiques et peu cohérentes, ce qui rend la lecture au départ difficile car le texte semble coupé, haché. Mais on s’habitue et on s’aperçoit rapidement que l’auteur s’adresse aussi à nous lecteurs·rices, comme ici : (…Mineurs que vous êtes ! SORTEZ bon dieu ! SORTEZ tous!) (p.56). On a du mal à savoir qui parle. Le roman est scindé en deux parties égales, mais on peut dégager dans chaque partie deux sous-parties. A chaque fois, l’auteur, Jean-Yves Cendrey, parle au début, puis à un moment la narratrice reprend l’histoire.

L’auteur joue avec la narration mais aussi avec la langue française. Il fait des néologismes, il invente des mots. Parfois on a l’impression qu’il écrit comme il parle : « le ouaibe » (p.13), « ma pôvre môman » (p.32) ou encore « le tégévé » (p.76). Il écrit en phonétique, joue avec les mots « quand le chat bande elle masse » (p.86) pour parler de l’homme politique bordelais Jacques Chaban-Delmas. Il aime faire des comparaisons, il parle d’une tumeur nécrosée ou d’un gros téton brun pour parler d’un cannelé. Il joue aussi avec l’écriture inclusive, « Bordelais+e.s » (p.28), mais aussi « lecteurtrices » (p.32) tout en s’excusant aussitôt après dans une note entre parenthèses qui nous est adressée.

L’auteur aborde son histoire avec un ton ironique, parfois choquant, voire désopilant, décrassant. Cet humour est là pour critiquer de manière indirecte, pour dénoncer, tourner au ridicule. Il est très important dans la construction du récit puisqu’il permet à l’auteur d’être très virulent , poétique et touchant à la fois. Le tout, en expliquant comment s’est développée la sexualité de la ville de Bordeaux et comment elle est devenue, grâce à Pierre Molinier, une des villes les plus érotiques de France.

S.M., 2A, Bibliothèques-Médiathèques, 2019-2020

Sources :
Pour la biographie de l’auteur et la bibliographie
Site Actes Sud, page Jean-Yves Cendrey [consulté le 09/11/2019].
Site Wikipédia, page Jean-Yves Cendrey [consulté le 09/11/2019].
Site des éditions de L’Arbre vengeur, page Jean-Yves Cendrey [consulté le 09/11/2019].

Biographie de l’auteur :

Nationalité : France
Né à : Nevers, 1957
Profession : Écrivain, dramaturge

Né d’un père militaire violent et alcoolique, il mena une vie nomade au gré des mutations de son père de casernes en casernes. Révolté jusqu’à sa rencontre avec son premier livre Quant au riche avenir de Marie Ndiaye qui deviendra son épouse. En février 2001, il emmène un enseignant de l’école de ses enfants à la gendarmerie pour pédophilie. L’enseignant est condamné à quinze ans de prison pour pédophilie sur de nombreux élèves. Cet événement le marque en tant qu’homme réveillant des douleurs de son enfance martyrisée, mais aussi en tant qu’écrivain. Il publie en 2005 Les Jouets vivants. Avec sa femme Marie Ndiaye et ses enfants, il vit actuellement à Berlin.

Bibliographie non exhaustive :
Principes du cochon, P.O.L., Paris, 1988
Oublier Berlin, P.O.L., Paris, 1994
Parties fines, Mille et une nuits, Paris, 2000
Conférence alimentaire, L ’Arbre vengeur, Bordeaux, 2004
Les Jouets vivants, Éditions de l’Olivier, Paris, 2005
Corps ensaignant, Gallimard, Paris, 2007
Le Japon comme ma poche, L ’Arbre vengeur, Brodeaux, 2009
Pauvre maison de nos rêves, suivi de L’Herbe tendre, (théâtre) Actes Sud-Papiers, Arles, 2010
Mélancolie vandale, Actes Sud, Arles, 2011
La sexualité normande comme ma poche, L’ Arbre vengeur, Bordeaux, 2016

Pour aller plus loin :
Sur Pierre Molinier :
Pierre Molinier, Raymond Borde, André Breton, Le Terrain vague, Paris, 1964
Pierre Molinier (texte L’Art magique de Molinier, avant-propos d’André Breton et d’Emmanuelle Arsan), Jean-Jacques Pauvert éditeur, Paris, 1969
Molinier. Entretien avec Pierre Chaveau, Opales/Pleine page, Paris, 1992
Molinier une vie d’enfer, Pierre Petit, Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1992
Pierre Molinier. Jeux de miroirs, Musées des Beaux-Arts de Bordeaux/le Festin, Bordeaux, 2005

Émission de France Culture du 08/09/2018
« Une vie, une œuvre » de Céline du Chéné, Pierre Molinier, « à mon seul plaisir » (1900-1976),

Sur l’auteur :
Site du journal Le Monde, article Jean-Yves Cendrey : « Je ne suis pas un écrivain douillet » par Xavier Houssin [consulté le 09/11/2019].
Site : Youtube, Libraire à l’air libre : la sexualité bordelaise comme ma poche présentée par Chantal Limerat, extrait de l’émission de France 3 Nouvelle-Aquitaine, 28 janvier 2019 :

Site France bleu Gironde, La sexualité bordelaise comme ma poche de Jean-Yves Cendrey, Editions de l’Arbre vengeur, présentée par Philippe Vigier, extrait de l’émission « Les librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine », 29 décembre 2018,