Littérature française

Laurence BIBERFELD, Péter les boulons

Laurence Biberfeld, Péter les Boulons

Éditions in8, 2019
ISBN : 979-10-90724-67-9

Une petite envie de meurtre

Les éditions in’8 ont fait le choix de donner vie à des ouvrages qui sortent des sentiers battus. Fidèles à leur positionnement, elles publient en 2019 Péter les boulons un roman anarchiste de Laurence Biberfeld qui, dans la vie comme dans l’écriture, méprise les conventions et codes hiérarchiques.

C’est à l’hôpital que commence la nouvelle vie d’Irène qui va radicalement  » péter les boulots « . Face à l’opération inattendue de son père, elle réagit de façon démesurée. Elle ne supporte pas l’attitude du chirurgien qui la prend de haut et elle l’assassine tout simplement. Elle se sent immédiatement beaucoup mieux, récupère son père, ses tuyaux, et s’enfuit du mouroir. Le ton est donné. Irène et son père, en piteux état, s’installent dans un squat sous la protection d’Aminata. La précarité règne dans cet immeuble qui deviendra un véritable quartier général, mais la débrouille et la solidarité égaient les visages. Irène a pris goût à la vengeance et, tandis qu’Aminata s’occupe du père et prépare de bons petits plats, elle poursuit sa tournée exterminatrice : conseillère pôle emploi, assistante sociale, psychologue ….

Arrivent enfin les enfants d’Irène, bien que sous tutelle ou en prison, ils sont restés très proches et se rallient à la cause de leur mère. On dresse des listes, on discute et au fil des règlements de comptes, le joyeux petit groupe s’élargit d’amis, voisins et enfants des voisins… Mais par d’étonnants quiproquos, Irène se retrouve au centre d’un immonde trafic. L’organisation du gang des justiciers doit s’intensifier car l’heure n’est plus aux petites revanches personnelles, mais au démantèlement de ce réseau pervers.

«  On les zigouille quand ? chuchota Larissa, se penchant vers moi pour ramasser sa serviette.
Je pense qu’on peut faire un carton plein ce week-end » p. 141

On retrouve dans Peter les boulons l’ambiance noire des œuvres précédentes de Laurence Biberfeld. Dans son premier roman, La B.A. de Cardamone, elle racontait l’histoire d’une marginale battue par son ancien compagnon et dont le nouvel ami, éducateur auprès des jeunes en difficulté, est assassiné. La Vieille au grand chapeau se déroulait dans le milieu du travail clandestin et La Bourse ou la vie dans les réseaux de prostitution. Laurence Biberfeld a aussi participé à l’aventure du Poulpe avec On ne badine pas avec les morts. Des univers sombres que l’auteur a côtoyés et qui restent parmi ses préoccupations. Après des périodes de galères, Laurence Biberfeld a passé le bac en candidat libre et le concours d’institutrice. Jeune mère, elle a quitté son compagnon ainsi que Paris pour découvrir d’autres modes de vie. Elle teste divers types d’école, mais refuse toujours les inspections. Elle quitte enfin l’éducation nationale pour se consacrer à ses intérêts majeurs : l’écriture, le dessin et l’anarchisme. Sans oser la violence de son héroïne dans Péter les boulons, Laurence Biberfeld partage sa détermination et ses convictions. Elle choisit encore une fois de mettre la lumière sur les milieux défavorisés.

L’action est accompagnée de phrases courtes et d’interjections qui maintiennent un rythme soutenu dans la plus grande partie du roman. Le lecteur se retrouve ainsi dans le même état de colère et d’urgence qu’Irène. Si l’on peut douter de la nécessité d’autant de périphrases, on appréciera sans réserve la maîtrise des niveaux de langage de Laurence Biberfeld. L’argot contemporain et le sarcasme des dialogues participent au rythme et introduisent l’humour nécessaire à cet ouvrage.

« Elle était en train de tcharer avec une mémé qui avait pas l’air de faire dans le social, par contre.
Ouais, elle était sapée comme une palissade de chantier.
Sauf qu’aucun clodo n’avait pissé sur les tags de sa robe. Et puis des pompes imitation sardine à l’huile… » p. 104

Le livre n’est pas qu’une critique du système social français, c’est aussi une ode à la famille. Irène porte en elle beaucoup d’amour et de joie de vivre. Ses amis et sa famille forment un cocon chaleureux et festif avec toujours une ribambelle d’enfants libres. Laurence Biberfeld propose de revoir ses priorités et de redonner leur importance aux relations humaines.

« Ils étaient partis, ma mère et mon père, en vacances, en emportant leur enfant commune, moi, un enfant à lui, deux enfants à elle, un enfant à son Jules à elle, deux enfants à sa femme à lui. Qu’est-ce qu’on était heureux, nous la tribu des gosses, de se retrouver à l’aventure ! C’était une famille, la mienne, où les darons et les daronnes se multipliaient comme les petits pains, à l’instar des frangins et frangines. On ne s’y retrouvait pas et personne n’en avait rien à secouer. » p. 116

D’ailleurs, Irène s’apaise dans la dernière partie du roman, les crimes s’espacent et les accusations des services sociaux sont tempérées, on imaginerait presque une lointaine morale. Le lecteur peut refermer son livre en souriant, libéré de la colère, mais interrogatif sur l’avenir.

Laureline Desmaris, AS, Bibliothèques-Médiathèques 2019-20

Sources :
Pour la biographie de l’auteur :
Site de la maison des écrivains et de la littérature, Laurence Biberfeld,

Les Editions in8,

Le Village des facteurs, Laurence Biberfeld,

Laurence Biberfeld, site de l’auteur, [consulté le 19/09/2019]

Biographie de l’auteur :

Nationalité : française
Née à : Toulouse en 1960.

De 16 à 20 ans, Laurence Biberfeld, enchaîne les petits boulot, puis elle passe le concours et devient institutrice. Elle exerce dans diverses conditions (de Paris à l’Ardèche) pendant une vingtaine d’années avant de prendre sa retraite en 1999 pour écrire à plein temps. Depuis, elle écrit, dessine et publie régulièrement dans une veine noire.



Bibliographie non exhaustive :
Il nous poussait des dents de loup, novela noire, éditions in8, 2015
Les enfants de Lilith, éditions Au-delà du raisonnable, 2013
Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste, coécrit avec Grégory Chambat, 2012
On ne badine pas avec les morts, roman, Le Poulpe, Baleine, 2009
La vieille au grand chapeau, roman, Série Noire, Gallimard, 2005
Le chien de Solférino, roman, Série Noire, Gallimard, 2004
La BA de Cardamone, roman, Série Noire, Gallimard, 2002
et illustration du conte Coco, Hafed Benotman, éditions Écorce, 2012.

Pour aller plus loin :
Interview de Laurence Biberfeld, par Paroles d’Auteur en 2016
Dessins de presse de Laurence Biberfeld
« KILLERKAPITALISMUS » article de Laurence Biberfeld dans Creuse-Citron, 2005, page 4.
« Plein feux sur Laurence Biberfeld » Creuse-Citron, 2004