Littérature américaine

Cookie MUELLER, Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noire

Cookie MUELLER, Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Romaric VINET-KAMMERER
Titre original :
Walking Through Clear Water In a Pool Painted Black
Semiotext(e), 1990
Éditions Finitude, 2017
ISBN 9782363390776

Les Français auront dû attendre vingt-sept ans pour rencontrer Cookie Mueller… Ce sont les éditions Finitude qui nous offrent la traduction de cette étonnante autobiographie. Figure incontournable des bas-fonds américains des années 70 et 80, de Baltimore à New-York, ce personnage haut en couleurs ne laissera pas ses lecteurs indifférents.

Une femme aux mille vies

Qui ne s’est jamais demandé si sa vie méritait d’être inscrite sur le papier ? Quelles aventures, quels combats sont dignes d’être racontés ? Cookie Mueller se prête parfaitement à l’exercice. Il nous suffit de regarder la couverture pour comprendre qu’elle est un personnage singulier : une femme à moustache, qui fume et qui glisse « son paquet de cigarettes dans la manche retournée » (p.13) de sa chemise, à l’image d’un de ses amants. Au fil du récit, on découvre une femme qui souhaite s’affirmer en dehors des normes imposées par la société. On entre dans l’intimité d’une artiste qui n’a pas de limites, évoquant ses nombreux amants et amantes, ses addictions à la cigarette et aux drogues, ses décisions prises sur un coup de tête. Chaque chapitre nous plonge dans un fragment de sa vie, où l’on explore l’une de ses facettes.

Dans le premier chapitre, elle présente Gloria, un de ses deux amours de lycée. Enceinte, celle-ci a décidé d’épouser le père de son enfant, « tout en répétant qu’elle ne l’aimait pas moitié autant que [Cookie]» (p.17). Cette dernière montre sa pitié envers la « pauvre fille » (p.17) qui a préféré la vie de famille au gogo-dancing. C’est en effet avec une grande fierté que Cookie présente ses audacieuses professions : écrivaine à onze ans, danseuse dans des bars topless, actrice,… Elle s’essaye à tout ce qu’elle veut, et ne le fait jamais à moitié, sauf si sa dignité entre en jeu. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée lors du tournage de Pink Flamingo, de John Waters, à regarder son amie Divine manger des excréments de chien. Ce réalisateur, qui l’idolâtrait, disait d’ailleurs de Cookie qu’elle « était une écrivaine, une mère, une hors-la-loi, une actrice, une créatrice de mode, une go-go danseuse, une guérisseuse, une pythie de la scène artistique et, par-dessus tout, une déesse »1.

Une époque déjantée

Mais Cookie Mueller, c’est aussi une époque. Les années 1970 marquent la fin des Trente Glorieuses, les chocs pétroliers, le déclin du mouvement hippie, l’apparition des punks,… Elle retranscrit avec désinvolture les faits les plus excentriques de ces années. Ainsi LSD, cocaïne et méthamphétamines sont présentées comme des éléments de son quotidien. Elle échappe aux agressions sexuelles comme aux tueurs en série, dont Charles Manson qu’elle a « loupé de cinq petites minutes » (p.22). Pour elle, rien n’est insurmontable, à une exception près : le sida.

Ce virus s’est en effet répandu aux États-Unis à partir des années 19802, touchant majoritairement les jeunes des milieux underground.

« « C’est comme si on était en guerre, maintenant », m’a dit ma tante il y a quelques semaines. […] « Vous, les jeunes, vous perdez des amis et des parents comme si des balles les fauchaient. » » (p.179)

Le dernier chapitre retranscrit la « Dernière lettre » d’un ami de Cookie, alors sur son lit de mort. Elle est le témoignage poignant de tous ces jeunes abandonnés du fait de leur maladie.

« Notre problème, c’est que nous sommes complètement seuls dans la plus cruelle des sociétés cruelles, avec personne à nos côtés pour nous donner amour et confiance absolus. » (p.181)

Une palette d’émotions

La plume de Cookie Mueller est pour le moins singulière : elle est directe tout en restant diplomate, liant l’impertinence et la poésie. Elle parvient à semer des traits d’humour dans son monde tragique. On a ainsi un récit en demi-teinte : rien n’est trop « clair », rien n’est trop « noir ». Cette narration permet de lire avec un certain recul toutes les confessions de l’auteure.

Pour autant, aucun détail n’est épargné. Elle nous présente sa réalité telle qu’elle l’a abordée, vécue, sentie. Ses émotions transparaissent de fait avec une extrême profondeur. On a donc le doux portrait d’une mère et d’une amante en quête de sérénité, d’un bonheur simple. On voit la vie avec tendresse, celle qu’elle éprouve au même instant.

« Quand ils me l’ont apporté pour que je lui donne le sein, je l’ai calé entre mes bras. On aurait dit un petit singe robuste et vigoureux… sans un poil de graisse, et avec des petites jambes énergiques comme une grenouille en pleine forme.
Je me suis assoupie à côté de lui.
« Bonne nuit, Max, lui ai-je dit, je vais dormir maintenant. » »

Mais elle apparaît parfois apeurée, inquiète, énervée. Sa carapace, construite tout au long de sa vie pour survivre dans le milieu rude qu’elle a choisi, se craquelle par instants, sans jamais l’abandonner complètement.

« Alors qu’il s’approche, je vois qu’il a une lampe torche et je me remets à flipper. Si le faisceau m’atteint, je suis perdue. » (p.69)

Ce livre est une expérience à part, puissante et sans filtre. Que l’on soit marqué par son extravagance ou sa sensibilité, il nous est impossible de ne pas tirer une leçon de cette vie extraordinaire.

Alors, oserez-vous plongez dans l’eau claire d’une piscine peinte en noire ?

Mathilde Vincent, 2A Édition-Librairie, 2019-2020.

1 Citation tirée de Edgewise : A Picture of Cookie Mueller de Chloé Griffin, Berlin, b_books Verlag, 2014
2 https://www.france-science.org/Le-SIDA-aux-Etats-Unis.html

Sources :
Pour la biographie et la bibliographie de l’autrice :
Site des éditions Finitude.

Biographie de l’auteur :

Nationalité : Américaine

Née en 1949 dans la banlieue de Baltimore

Après avoir passé son enfance dans la ville de Plymouth, Cookie Mueller part s’installer à San Francisco, puis à Baltimore. Elle devient en 1969 l’une des figures phares des films de John Waters. Elle s’essayera à de nombreux métiers, légaux ou non, représentant la génération bouleversée à laquelle elle appartient.

Bibliographie non exhaustive :

  • Aux Etats-Unis :
    How to Get Rid of Pimples, Top Stories, 1984
    Fan Mail, Frank Letters, and Crank Calls. Hanuman Books, 1988Garden of Ashes, Hanuman Books, 1990
  • En France :

Comme une version arty de la réunion de couture, Finitude, 2019

Pour aller plus loin :
Emission La Dispute, France Culture, Arnaud Laporte, 30/05/2019.

Interview magazine (en anglais)