Littérature française

Alain ADE, Un village français : 1940

Alain ADE, Un village français : 1940.


Tigre Bleu, 2009
ISBN 978-2-916289-10-6

Un village français est une série télévisée française composée de 72 épisodes, diffusés entre juin 2009 et novembre 2017 sur la chaîne France 3, au terme de sept saisons. Parmi les acteurs célèbres ayant participé, l’on peut citer Robin Renucci ou Audrey Fleurot. Sept tomes sortiront en librairie, en parallèle des saisons de cette saga.

Les livres, comme la série, nous proposent de découvrir la vie quotidienne d’un village français, en l’occurence une sous-préfecture fictive des Vosges, inspirée de Dôle : Villeneuve. L’histoire se déroule principalement durant la période de l’Occupation, entre 1940 et 1945, et suivra la destinée des personnages jusqu’à leur mort, pour s’achever en 2003.

La réalité se mêle à la fiction : les véritables événements, survenus durant la guerre au sein de cette région, vont venir influencer le destin des différents personnages, confrontés à de multiples décisions, avec les conséquences qui peuvent en découler. La question qui fait office de fil rouge, tout au long de l’histoire, est la suivante : qu’aurions-nous fait à leur place ?

Si les personnages fourmillent tout au long de cette fresque, Un village français se focalise sur une dizaine d’entre eux, présents dès ce premier opus : un vieil inspecteur de police et son jeune collègue, une institutrice, un ouvrier communiste, un riche industriel et son épouse, une fermière… La figure centrale du village français est représentée par son maire, le médecin Daniel Larcher, qui se retrouvera en première ligne pour affronter les intrigues.

L’histoire débute le 12 juin 1940 et nous plonge immédiatement dans l’ambiance de ces années noires : une sortie scolaire se déroule dans une joyeuse insouciance, sous un soleil radieux, les élèves ne semblant prêter aucune attention à l’avancée de l’armée allemande et à l’exode environnant. Soudain, un avion fond sur la foule et mitraille au hasard. Deux enfants et un professeur sont tués. Lucienne, la jeune institutrice, se retrouve, seule et ensanglantée, avec une dizaine d’enfants traumatisés, à devoir rallier l’école du village en pleine débâcle.

Un peu plus loin, c’est la même pagaille : la population se réfugie dans une église bondée et le médecin du village doit faire face à une foule de blessés et de malades, du nourrisson au vieillard. L’épidémie guette. La scierie d’un brillant industriel, premier employeur du village, se confronte aux réquisitions allemandes, de même que les fermes locales.

Ainsi, dès les premières pages, la guerre surgit au sein des foyers, faisant irruption dans la vie de tout un chacun, peu importe son âge ou sa catégorie sociale, les forçant immédiatement à devoir choisir, décider, souvent sous la contrainte et dans la précipitation. La galerie de personnages est suffisamment variée pour que le lecteur puisse s’identifier, selon ses affinités, même si une certaine neutralité reste de mise, personne n’étant tout noir ou tout blanc.

Au fur et à mesure de l’avancée des évènements connus de l’Occupation, le village est soumis à un bouillonnement perpétuel, saupoudré d’histoires humaines plus banales : liaisons amoureuses, rivalités, convictions politiques, contraintes sociales ou économiques… Par exemple, le propriétaire de la scierie, Raymond, va devoir faire un choix crucial…

L’arrivée de l’armée allemande entraîne en effet l’évacuation de l’école et son aménagement en caserne, avec son lot de planches et de poutres. Le commandant Ritter propose un contrat :

« Raymond fut décontenancé par la demande. Elle posait des problèmes techniques, mais aussi un problème moral qu’il n’ignorait pas. Travailler pour les Allemands était mal vu. D’un autre côté, c’était une aubaine, compte tenu des difficultés du moment. »

Ainsi, doit-il accepter, comme s’il s’agissait d’un travail normal, et continuer de faire vivre ses employés, rapidement confrontés aux difficultés de chauffage et de nourriture ? Ou bien doit-il refuser pour conserver son honneur et sa réputation ? Quelle influence peut avoir sa femme, bourgeoise vénale et fille d’un illustre collabo parisien, vivant dans le luxe et l’opulence, face à sa maîtresse, paysanne souffrant des privations et pionnière de la Résistance ?

Au sein de ce premier tome, ainsi que dans les six suivants, le style et l’écriture demeurent simples et accessibles, et des astérisques viennent séparer les multiples histoires afin de conserver toute clarté au récit, mais les évènements s’enchaînent en toute logique. Le ton employé dans les dialogues évolue selon la personne, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un vieillard, d’un médecin ou d’un ouvrier.

La force de cet ouvrage repose sur deux choses simples : premièrement, le lecteur connaît à l’avance les grands évènements de l’Histoire. Il sait que, selon leur rôle, tel ou tel personnage sera confronté plus tard, par exemple, à la déportation juive ou à l’épuration, que tel chemin emprunté ou telle décision, de prime abord sans importance, aura peut-être des conséquences plus graves dans quelques mois ou quelques années.

Deuxièmement, l’histoire n’est pas manichéenne, il n’y a pas d’un côté les gentils Français et les méchants Allemands, mais bien des hommes et des femmes confrontés à des choix, souvent difficiles, qu’il ne nous appartient pas, ou peu, de juger. Ainsi, au long des sept tomes, et de ce premier opus en particulier, les rebondissements s’enchaînent sans discontinuer et les histoires s’entremêlent pour n’en former plus qu’une seule : celle d’un village français et, à travers celui-ci, l’histoire de la France sous l’Occupation.

M.L., Année Spéciale Bibliothèque, 2019.

Sources :
ADE Alain, Un village français, Tigre Bleu (7 tomes, 2009-2017)

Biographie de l’auteur :

Né à Ermenonville (76) en 1955.

Travaille pour le cinéma et la télévision. Auteur de plusieurs ouvrages, dont certaines novélisations de séries télévisées.

Pour aller plus loin :

BOUTET Marjolaine, Une histoire de l’Occupation : un village français, la Martinière, 2017
PAPIN Bernard, L’histoire au risque de la fiction : un village français, Atlande, 2017
COINTET Michèle, Nouvelle histoire de Vichy, Fayard, 2011