Littérature belge

Etienne VERHASSELT, Les Pas Perdus

Étienne VERHASSELT, Les Pas Perdus

Le Tripode, 2018.
ISBN : 97823705516

Un univers déroutant

« Ce recueil est né d’une envie tenace et espiègle de raconter des histoires farfelues. »

Voici comment l’auteur, Étienne Verhasselt, imagine et rend possible son premier livre, Les Pas Perdus. Ce recueil s’illustre par son univers particulier, unique et construit. Le cadre spatio-temporel change à travers les multiples nouvelles. Parfois les personnages se retrouvent pris au piège d’une boucle et nous nous retrouvons à lire trois fois le même paragraphe. Aussi, dans la nouvelle « Aujourd’hui », nous sommes chaque jour le quinzième du même mois. Le temps s’allonge ou bien file à tout allure. L’auteur ira jusqu’à créer, dans « La Buble », son propre repère temporel, le « U.T.G ou Unité Temporelle Global qui mesure le temps commun aux six milliards de mondes habités du cosmos occidental ». L’auteur ajoute également des notes de bas de page, reliées à des termes inexistants, afin de définir ses créations telles que « les sciences des temporalités réversibles et non réversibles ». De plus, dans ces nouveaux univers, le rapport aux objets est différent. Dans « Le Balcon », cette plateforme, ayant soutenu de nombreux dictateurs ou révolutionnaires dans leurs discours, décide de se suicider face à la violence humaine.

Le recueil évoque peu de patronyme, les hommes sont pour la plupart du temps réduits à leurs initiales comme la « famille B ». Cependant, s’il joue un rôle décisif dans la chute du texte, le nom entier sera dévoilé. L’auteur invente également des villes telles que « Bürtzel5 ».

L’univers présenté se révèle être aussi absurde que déroutant. L’illogisme est fortement présent, dans l’histoire de M. René Descendre, comme son nom l’indique, le protagoniste ne peut mourir indéfiniment. À travers la nouvelle « Mon chien, ce coquillage », la maîtresse d’un animal de compagnie découvre, après dix ans de vie commune, que son chien est un pétoncle.

Enfin, les objets ont une fonction particulière dans chaque histoire.

« Combien d’objets que nous croyons avoir perdus nous ont peut-être quittés par dépit ? ».

Les humains se retrouvent contrains de s’adapter à des formes nouvelles. Dans « Involution », les divers coins de tables tombent au sol et, petit à petit, chaque coin de table du pays échoue au pied des individus. C’est pourquoi, en dépit de cela, les citoyens soupent désormais au sol, sur les coins de table déchus.

Ces contes sont parfois tragiques. Pris de paranoïa, certains personnages viennent à se suicider, d’autres se font assassiner.

Des contes satiriques

Ces contes, riches en péripéties, s’illustrent par leur lyrisme. « Sinon mourir » nous offre la description d’une femme endormie : « Profitant qu’elle dormait, il se glissa sans bruit sous l’une de ses paupières et plongea dans son œil magnifique ». Les animaux sont les seuls à faire l’objet de somptueuses descriptions, comme l’illustre le portrait d’une mite : « Il put observer l’abdomen soyeux, les ailes repliées et bien rangées, les pattes symétriques agrippées au verre et les deux yeux noirs inexpressifs qui le fixaient ».

Nous pouvons noter quelques références aux contes de fées avec les formules « un beau jour » ou « il était un fois ». Nous avons peu de repère temporel précis, aucune mention d’année ou de mois. Ces récits, uniques, sont empreints de merveilleux, nous apercevons une part de fantastique dissimulée dans le réel.

Il découle de ces contes une grande satire sociale. L’homme est rempli de vices, entre avarice, comme dans « L’appât », et narcissisme. Il est naturellement néfaste pour autrui et anéantit tout ce qu’il touche car « ces gestes sont typiquement humains ». L’homme se retrouve aliéné soit aux objets, comme à sa maison, soit aux animaux. Au contraire, les objets sont personnifiés et mènent un véritable constat sur l’espèce humaine.

La philosophie de l’auteur est pessimiste. Selon lui, l’Homme est amené à souffrir. Le nouvelliste mêlera cependant à ses récits de la poésie, qui nous laisse une nouvelle façon d’envisager le monde. Ces nouvelles nous conduisent à faire preuve d’imagination et à redevenir les êtres naïfs que nous étions plus jeunes, qui pensaient que les objets s’animent dans notre dos.

Chaque nouvelle sonne comme une bulle d’air fragile, oxygénant notre esprit.

Iman Lahmidi, 2A Edition-Libraire, 2019-2020.

Sources :
La maison d’édition Le Tripode.
La revue Marginales.
Site de la maison d’édition Deboeck.

Biographie de l’auteur

Né à Bruxelles, en 1966.

Anciennement traducteur de manuels universitaires, spécialisés en psychologie clinique, il décide de plonger dans une carrière d’écrivain chez les éditions Tripode. Il endosse également la casquette de critique, où il publie dans une revue belge, Marginales, la « voix de la littérature belge dans un concert social ». Lors de la rentrée littéraire 2019, il nous dévoile son nouveau recueil, Eternité brève, dont le titre signe l’absurde malice de l’auteur.

Bibliographie :

  • Les Pas Perdus, Le Tripode (2018), Prix « Magie de la Littérature » au Festival International du Livre Transilvania.
  • Éternité Brève, Le Tripode (2019)