Littérature africaine, Littérature sénégalaise, Théâtre

Seydi SOW, Les Colombes meurent à Soweto

Seydi SOW, Les Colombes meurent à Soweto

Editions Teham, 2017
ISBN 9791090147232

Une tragédie sur lhistoire

Le 16 juin 1976, des étudiants de Soweto, dans la banlieue de Johannesburg, manifestent contre un projet de loi visant à imposer l’afrikaans, langue des colons néerlandais, comme langue d’enseignement dans les écoles sud-africaines. La police tire sur les manifestants et tue plusieurs personnes. Ces événements donnent lieu à des insurrections populaires contre l’apartheid partout en Afrique du Sud.

Le 16 juin 1976, des lycéens et lycéennes noirs manifestent contre l’introduction de l’afrikaans comme langue d’enseignement à égalité avec l’anglais dans les écoles locales. Photographie de Bongani Mnguni.

Dix ans plus tard, l’auteur sénégalais Seydi Sow s’inspire de ces événements pour écrire sa pièce Les Colombes meurent à Soweto.

D’abord intitulée Ainsi meurent les enfants de Soweto, cette pièce de théâtre avait initialement été écrite pour être jouée par les enfants d’une école, dans le cadre du Festival National Interscolaire de Théâtre du Sénégal. Suite à ce festival, Seydi Sow obtient le Grand Prix du Président de la République pour les Lettres au Sénégal. A partir de fragments de la première pièce, l’auteur en a reconstitué une nouvelle.

Cinq tableaux composent la pièce qui ressemble au premier abord à une tragédie antique : on ne voit pas les personnages mourir sur scène, tout est suggéré. Dans une première scène, Zéréré, le héros, raconte à sa mère les événements de juin 1976 et la mort, sous ses yeux, de certains de ses camarades. Il lui annonce qu’il part rejoindre les combattants du maquis. Elle pleure ses enfants et son mari disparus et supplie son dernier fils de rester auprès d’elle. Le deuxième tableau nous montre Zéréré qui a rejoint les combattants : ils préparent un attentat contre le régime raciste de Pretoria. Cependant, ils sont divisés : la violence est- elle la seule solution de recours pour faire entendre leur voix ? L’opération de sabotage est lancée malgré tout et Zéréré sera arrêté et jugé.

La scène de procès est l’occasion de dénoncer le comportement des juges de l’époque, leur hypocrisie et leur mépris vis-à-vis des noirs. Zéréré est insulté, traité tour à tour de « gorille » et de « sauvage ». A travers ce procès, c’est le gouvernement sud-africain tout entier qui est dénoncé. En creux, c’est donc le procès de ce gouvernement lui-même qui est fait, Zéréré devient alors juge lorsqu’il déclare :

Vous êtes coupables d’avoir les premiers fait germer
La violence dans ce beau pays, naguère paisible,
Coupables d’avoir porté au maximum la répression,
Coupables d’avoir entretenu la haine entre nos peuples,
Coupables d’avoir refusé aux citoyens majoritaires de ce pays
D’accéder à leurs aspirations les plus légitimes,
De manifester pacifiquement et librement leur désaccord.

L’issue du procès est prévisible : en effet, que peut un homme seul face aux représentants du gouvernement ? Cependant, Zéréré triomphe par la sagesse de ses paroles, paroles auxquelles les juges n’ont aucun argument valable à opposer. A travers son discours, il ne se fait pas seulement le porte-parole de sa propre cause mais celui de tout un peuple.

Un message despoir

Malgré un titre plutôt pessimiste, Seydi Sow nous présente des personnages qui continuent à penser que la paix est possible en Afrique du Sud. Tour à tour, ils citent et reprennent les discours de Nelson Mandela et de Martin Luther King : « Hier j’ai vu en songe,/ Un de ces leaders,/ Un de ces chantres de la dignité de l’homme noir./ Puis, j’ai vu,/ Dans mon rêve,/ Une aube nouvelle […]/ l’univers entier était devenu/Tranquillité et paix » dit l’un des combattants. Les voix des personnages fictifs et historiques se mêlent pour n’en former qu’une seule, celle portée par Zambi, la mère de Zéréré, qui, comme Nelson Mandela, rêve d’une « Nation arc-en-ciel ».

L’intertexte est omniprésent, sans cesse retravaillé par l’auteur. Les discours sont accompagnés par des chants : les quelques didascalies indiquent que chaque tableau s’ouvre par un chant. Les deux dernières scènes s’apparentent elles-mêmes à des chants avec, dans le cinquième tableau la répétition d’un même vers.

L’écriture est poétique, les personnages souvent allégorique à l’image de Zambi qui représente la nation sud-africaine. Cela donne au message une portée universelle.

Lorsque Seydi Sow écrit la première version de sa pièce, l’apartheid est toujours d’actualité en Afrique du Sud malgré la condamnation de l’ONU. Il ne sera aboli qu’en 1991.

L.A., AS, Bibliothèques-Médiathèques, 2019-2020.

Sources :
A propos de Seydi Sow :
Site de la BNF, « Seydi Sow » [consulté le 18/11/2019].
Site des Editions Téham, « Seydi Sow » [consulté le 18/11/2019]
Wikipédia, « Seydi Sow », consulté à l’adresse suivante [consulté le 18/11/2019]


Autour du texte :
Jeune Afrique, « I have a dream » : le texte intégral en français du discours de Martin Luther King » en ligne [consulté le 20/11/2019]
Le Monde, « Mandela : les discours entrés dans l’histoire », en ligne [consulté le 20/11/2019]
Encyclopédie Universalis, « Apartheid (repères chronologiques) »

Images : Site de RFI Savoirs, « L’Apartheid » [consulté le 21/11/2019]

Biographie de l’auteur

Né à Koungueul (Sénégal) en 1954.

Seydi Sow est un auteur et éditeur sénégalais.
Il a écrit plusieurs romans dont La Reine des sorciers (1998). Il a aussi écrit du théâtre, des fables ou encore des nouvelles.
Il a obtenu plusieurs distinctions au Sénégal, notamment le Grand Prix du Président de la République pour les Lettres. (Photographie prise sur le site de l’éditeur).

Bibliographie non exhaustive
Misère d’une boniche, roman, l’Harmattan, 1997
La Reine des sorciers, roman, Fasal, 1998
Le Défis de la reine des sorciers, roman, Xamal, 2001
Les Colombes meurent à Soweto, théâtre, Teham, 2017
La Tristesse des moineaux, roman, l’Harmattan Sénégal, 2018