Littérature française

Joëlle TIANO-MOUSSAFIR, Le Dernier Courbet

Joëlle Tiano-Moussafir, Le Dernier Courbet

Éditions Zinédi, 2019.
ISBN 978-2-84859-193-3

Plus qu’un roman, Le Dernier Courbet est une véritable œuvre picturale. Sous nos yeux, les pigments se confondent, se mélangent jusqu’à ce que, du fond brun, se détache le portrait.

Et quel portrait !

Lorsqu’en 2007, la narratrice du roman s’interroge sur la provenance du tableau qui a toujours été dans sa famille, le saut dans le temps paraît inévitable. Le passé, qu’il soit éloigné ou non, n’est jamais véritablement achevé ; l’Histoire soulèvera toujours des questions qui, souvent, auront du mal à trouver des réponses.

Peilz, décembre 1877, atelier de M. Courbet

Il est rare en regardant une œuvre d’art de penser au modèle comme à une personne semblable à nous. Lorsque L’Origine du monde s’immisce dans les conversations, ce sont les prouesses techniques, le scandale de l’œuvre, le naturalisme du tableau qui sont mentionnés. Mais qu’en est-il du modèle ? A part la recherche ardente autour de son identité, qu’en est-il d’elle ?

« Depuis que Courbet l’avait peinte pour Khalil Bey, depuis plusieurs mois, Jo avait le sentiment d’être dépouillée de son âme. Réduite à son apparence » (p. 63)

En nous transportant dans l’atelier de Courbet, le modèle de l’œuvre n’en est plus un ; Jo, la belle Irlandaise retrouve toute sa corporalité. Page après page, Joëlle Tiano-Moussafir fait revivre ce qui a été figé dans la peinture. Le temps du roman, le modèle a une voix, une voix qui exprime ce qu’une œuvre ne dit pas. « Je veux juste que tu fasses mon portrait, que tu me rendes ce que tu n’as pas peint, ce que tu as passé sous silence, qu’enfin, enfin, je sois Une ». (p.60) Et quelle belle manière de lui rendre ce qui est à elle en la peignant une nouvelle fois.

Mais cette fois-ci, pour ce nouveau tableau qui sera au cœur du roman, Jo est actrice de son portrait. Lorsqu’elle s’assoit face à Courbet, qu’elle appuie sa tête contre le dos de sa main, qu’elle casse la verticalité, un œil plus haut que l’autre, elle sait qu’elle tient la pose, celle qu’attendait Courbet sans que lui-même le sache.

« C’est ça, c’est exactement ça… comment as-tu trouvé ? Comment as-tu su ? 
– Mais, Gustave… J’ai juste pris ta pose… c’est toujours ainsi que tu t’es peint, toi. » (p.72)

Et elle est là, la force du modèle ! Le chef-d’œuvre n’en est pas un s’il ne part pas du modèle lui-même.

D’ailleurs, l’idée du portrait va même au-delà de la demande de Jo car grâce à sa présence, aux questions qu’elle pose au grand maître sur son art, c’est le portrait du peintre dans tout son génie que fait véritablement l’auteur.

Arrivé à la partie où Courbet s’affaire à son travail, le texte est judicieusement élaboré de telle sorte que chaque chapitre se consacre à un élément précis de la composition du tableau ; un procédé qui donne au portrait une profondeur étourdissante. Ce ne sont pas des mots que nous lisons mais des pigments que nous voyons. Et à chaque page, l’œuvre émerge doucement des phrases pour jaillir dans nos esprits  : d’abord le vert s’est posé sur la toile puis le roux pour compléter le fond, le blond de la chevelure a alors suivi, ainsi que le bleu nuit de sa robe et le blanc qui la termine, puis la main a pu être peinte comme une ébauche, et enfin, de toutes ces couches de couleurs est sorti le visage.

Cependant, l’œuvre picturale ne s’arrête pas à celle que Courbet peint mais se poursuit tout au long du roman. Par son écriture, Joëlle Tiano-Moussafir compose elle aussi un tableau digne des plus grands plasticiens. Ses descriptions nous troublent : sommes-nous face à un paysage ou devant un tableau qui en représente un ?

« Attirés, comme des papillons par le cercle de lumière d’une lampe, par ces collines, ces bois, et cette eau surtout qui, si près de Paris, prenait une majestueuse ampleur où se couchait le soleil et où jouaient, à l’infini, les reflets d’opale bleutée. » (p.49)

L’artiste sait apposer des couleurs sur une toile, l’auteur, elle, sait les transformer en mots.

L’écriture a été pensé avec intelligence. Le roman n’est pas seulement la somme de phrases juxtaposées mais au contraire, déborde de vie, d’énergie. C’est une écriture qui se voit, qui se sent, qui se ressent.

« Jurassien, il connaissait l’odeur transparente des lacs et l’odeur résineuse des sapinières, la pénétrante, légère et persistante odeur de bouse et la charnelle et vivante odeur du lait des étables » (p.66)

C’est une mélodie qui se joue à nos oreilles, un tableau qui se compose sous nos yeux, des senteurs qui font resurgir nos souvenirs.

Notre esprit part pour ce voyage. Nous ne sommes plus assis, à lire tranquillement chez nous Le Dernier Courbet, mais nous sommes dans la maison du peintre avec Jo, la belle Irlandaise. La sensation d’intime proximité avec les personnages qui se déploient au fil des pages est d’autant plus forte que les chapitres semblent être des bribes de leurs pensées, de leur vie. « Mais le lendemain Jo ne parla pas. Et Courbet garda le silence » (p. 47) Seulement deux phrases pour ce chapitre ; le moment raconté n’en méritait pas plus. C’est ainsi que les instants de la vie sont faits. Ils ne sont pas égaux, ils n’ont pas de commencement ni de fin, juste un présent. Et c’est dans ce présent là que nous sommes invités.

Vayssières, Emeline, 2A Bibliothèques-Médiathèques / Patrimoine, 2019-2020.

Sources :
Site des éditions ZINEDI.
Page sur l’auteur, site de la BNF.

Biographie :

Nationalité : Française Née le 23 février 1944 Joëlle Tiano-Moussafir est un auteur parisien de romans, de pièces de théâtre et de contes. Parallèlement à son métier d’écrivain, elle est orthophoniste.

Bibliographie :

  • Lettres de Provence, de Marseille et d’ailleurs, J. Tiano-Moussafir, 1998
  • L’Enchanteur et illustrissime gâteau café-café d’Irina Sasson, Intervista, 2007
  • S’affranchir, un portrait de George Sand à vingt ans, Au diable Vauvert, 2016
  • Le sel des larmes est parfois doux, Éditions Zinédi, 2018

Pour aller plus loin :
La correspondance de Courbet – 20 ans après, Yves Sarfati, Thomas Schlesser, Bertrand Tillier (éditeurs), Les Presses du réel, 2018