Littérature française

Alphonse ALLAIS, En ribouldinguant

Alphonse ALLAIS, En ribouldinguant

L’Arbre Vengeur, 2019.
Paru pour la première fois chez Paul Ollendorff éditeur de 1893 à 1895.
ISBN 979-10-91504-95-9

Quand un humoriste décide de publier des contes sous la forme d’une anthologie, cela ne donne pas nécessairement un ouvrage pertinent. Mais lorsqu’il s’agit d’Alphonse Allais, un drôle d’écrivain-journaliste, le recueil En ribouldinguant nous promet un amusement continu et une réflexion sous-jacente sur la société de son époque…

Alphonse Allais est un écrivain, journaliste et humoriste français né à Honfleur, en 1854, et mort à Paris, en 1905. Destiné à suivre la carrière pharmaceutique paternelle, il change soudain de voie et s’essaie à la photographie, en vain. C’est alors que le journalisme lui ouvre ses bras : il devient bien vite rédacteur en chef et publie ainsi des récits à caractère humoristique. Il écrira par la suite quelques poèmes, mais ce sont ses contes et nouvelles qui l’assoiront dans le paysage littéraire français. Son humour absurde et léger cache en réalité un regard pessimiste sur le monde.

Parmi ses œuvres, Le Captain Cap (1902) est l’une de ses plus célèbres. Elle présente un personnage récurrent dans l’univers artistique d’Allais. Le parapluie de l’escouade (1893) et Deux et deux font cinq (1895) sont les recueils desquels ont été tirées toutes les nouvelles de son anthologie : En Ribouldinguant (1902).

Le cœur léger, même pour de graves paroles

Les contes et nouvelles proposés dans cette anthologie abordent des thèmes divers : l’adultère, l’amour, la mort et la farce. Il s’agit de thématiques sérieuses ou graves (exceptée la farce) qui apparaissent toujours teintées de cette légèreté qui fait honneur à Alphonse Allais.

L’adultère, majoritairement commis par de jeunes bourgeoises parisiennes, se dédramatise, parfois même se justifie, selon ces dernières, tantôt parce que l’amant est de petite taille : “il lui semblait […] que le péché fût moins capital avec un complice si menu” (“Cruelle énigme”, p. 54), tantôt parce “qu’il est beau” ou encore “rigolo” (“Comme les autres”, pp. 9, 10). Ici, les femmes adultères sont gentiment moquées : “[Elle] eût été la plus exquise des jeunes femmes […] sans [sa] fâcheuse tendance […] à tromper ses amants” (“Comme les autres”, p. 9), “[Elle] avait contracté l’habitude d‘alléger les lourdes chaînes de l’hymen avec les bouées roses de l’adultère” (“Cruelle énigme”, p. 53).

L’amour est décrit comme faiseur de miracles, par exemple Betzy, qui a perdu l’amour du narrateur pour des cheveux longs devenus courts, a réussi “à force d’amour, […] à [les] faire repousser” (“Un miracle de l’amour”, p. 69). On comprend alors que le sentiment a un pouvoir incroyable et qu’il mène à des actes à la fois héroïques et ridicules. Il est aussi admiré, juste pour la beauté de ses effets : “Et rien de touchant comme la continuelle attention de Lady Darwin […] entoure son vieux naturaliste” (“Un excellent homme distrait”, p. 100). Dans cette nouvelle-ci, l’affection mutuelle que se porte le couple, l’indulgence de la femme, la candeur de l’homme sont mis en avant comme pour montrer ce qu’il peut y avoir de plus beau dans l’amour.

La mort est, quant à elle, tournée en dérision. Elle est abordée avec cynisme et un humour noir qui ridiculise le concept même de mort. Quand la femme qu’il aime lui fait jurer de se suicider à sa mort, le narrateur décide, après “des obsèques convenables [de prendre] une autre maîtresse plus drôle” (“Poème morne”, p. 36). Puis, un homme mort écrasé par un omnibus, enterré non loin de l’endroit de son décès, s’impatiente et décide de “[briser] le cercueil, [briser] la pierre et [de se rendre] chez son médecin” (“Début de M. Foc dans la presse quotidienne”, p. 97).

Enfin, les farces de notre narrateur ont ceci de charmant qu’elles n’ont de but que son hilarité : “j’ai bien ri, mais là, bien ri !” (“Le réveil du 22” p. 29) ou son confort personnels.

Tandis qu’il couche à l’hôtel, il cause le réveil prématuré de ses voisins de chambre par le garçon de l’hôtel, pour avoir, lui, un réveil “moins brusque” (“Le réveil du 22”, p. 30). L’occupant de la chambre n°22 décide donc de se lever à 6h30, tout en songeant : “Que diable pouvais-je bien avoir à faire ce matin ?” (“Le réveil du 22”, pp. 30, 31) pour le plaisir et l’hilarité du farceur. Il arrive qu’il en tire une morale plus qu’absurde. Par jalousie envers un vieux monsieur “très allumé sur [son] aimée de Montmartre” (« Doux souvenir » p.22), il fait passer ce dernier pour un voleur afin de ne le plus revoir auprès de la jeune femme. Son entreprise échoue à moitié, car elle finit par rejoindre son rival, et la leçon étrange qu’il en tire, c’est de ne “plus jamais [fourrer] le moindre ivoire japonais dans la poche des vieux gentlemen » (« Doux souvenir » p.23).

Docere, placere… (instruire, plaire)

Par leur registre comique, chacune des nouvelles de ce recueil fait rire, notamment grâce à de jolis mots d’esprit, des figures de style bien choisies, comme la litote, et des interjections souvent adressées au lecteur ainsi que beaucoup de ses discours. Il fait aussi réfléchir sur une société parisienne du début du vingtième siècle qui n’est pas toujours si froide et complexée qu’on le croirait. Il donne une description de la réalité très caricaturale, à travers un voile d’absurde, et toujours dans l’optique de briser les tabous. On y voit là comme une volonté d’instruire, tout en amusant, ses lecteurs, pour leur plaire.

Aurès Bradica, 1A Édition-Librairie, 2019-2020

Sources

Pour la biographie de l’auteur :
Page « Alphonse Allais », Wikipédia, mis en ligne le 01/10/2017 et mis à jour le 16/10/2019 ; consulté le 17/10/2019.

Pour aller plus loin

Les recueils de nouvelle qui ont “enfanté” cette anthologie :
Le parapluie de l’escouade, Paul Ollendorf, 1893.
Deux et deux font cinq, Paul Ollendorf, 1895.

 

Une émission de France Culture sur l’auteur
“Grands écrivains, grandes conférences : Alphonse Allais et André Maurois” (Philippe Garbit) :