Littérature française

Louise MEY, La Deuxième femme

Louise MEY, La Deuxième Femme

 

Les Éditions du Masque, 2020
ISBN 978-2-7024-4946-2

 

Les violences conjugales au cœur du roman noir

 

Les gens trouvent Sandrine jolie. Elle ne parle pas beaucoup au travail, mais elle n’a jamais rien fait de mal. Elle décline toutes les invitations de ses collègues, tourne la tête dès qu’un homme veut discuter avec elle, et elle part dès le travail fini, en disant à peine au revoir. Elle est gentille, mais bizarre Sandrine. En fait, les gens auraient dû se douter que quelque chose n’allait pas. Mais imaginer ça ?

 

L’héroïne de La Deuxième Femme s’appelle Sandrine. On ne sait pas grand chose d’elle, si ce n’est qu’elle a des cheveux filasses, un corps qu’elle trouve trop gros, que son visage est trop moche, et qu’elle se trouve trop conne. Pourtant Sandrine est heureuse parce qu’elle a trouvé « son homme », comme elle l’appelle. L’homme qu’elle a vu pleurer à la télévision après que sa femme ait disparu, le laissant seul avec leur petit garçon. Ça a été le coup de foudre, il était si gentil avec elle. Et maintenant elle vit son rêve ; s’occuper de lui et de Mathias, son fils. Pourtant une ombre apparaît. On a retrouvé la première femme. Dans un hôpital psychiatrique en Italie, qui ne se souvient de rien, ni de son fils, ni de son mari et encore moins de sa disparition. Alors Sandrine commence à avoir peur. Est-ce que cette première femme va reprendre sa place alors qu’elle a enfin tout ce qu’elle désirait ?

Malgré des premières pages nébuleuses, nous comprenons rapidement où le roman veut nous emmener et les réponses à nos questions sont claires.

La première femme était une victime, Sandrine est aussi une victime. Une victime qui a besoin d’aide. Parce que même chez elle, elle est en danger.

La construction d’une relation abusive : étape par étape

L’autrice choisit un angle audacieux ; nous suivons les pensées de Sandrine, tous les dialogues sont rapportés au discours indirect, ce qui déconcerte au début.

L’utilisation de ce procédé alourdit parfois le texte de phrases répétitives (que Sandrine se dit pour se rassurer) et donne lieu à des phrases dont nous ne voyons pas le bout.

Cependant, ce point de vue interne retranscrit très bien la situation des victimes de violences conjugales ; elles ne réalisent pas ce qui leur arrivent, leur cerveau s’arme d’œillères pour cacher la réalité. Pour Sandrine, ce qui se passe dans son couple est tout à fait normal. D’autant plus qu’elle souffre de dysmorphophobie (la peur exagérée d’avoir un aspect disgracieux et/ou d’être malformé), elle s’est vue répéter pendant toute son enfance qu’elle ne valait rien par un père violent et une mère qui se taisait. Elle rabâche ainsi tous les jours « Grosse nulle, grosse vache, grosse moche ». Au fil du récit, après des scènes encore plus violentes de la part de son conjoint, de paroles réconfortantes de la part d’une policière et du témoignage de la première femme, Sandrine nous en dit plus sur sa relation, ce qu’elle nous cachait, mais se cachait également à elle-même.

« Sandrine sait que c’est faux, son homme lui a raconté, il lui a tout dit. Il pleurait […] il a déversé son cœur sur ses genoux et elle a caressé sa peau […] en se jurant de prendre soin de lui, parce qu’elle l’aime, parce qu’il l’aime, et que les gens qui s’aiment ne se mentent pas. »

 

Avec ces découvertes progressives, la tension monte, l’étau se resserre autour de son compagnon, il se montre encore plus agressif dans ses gestes, plus ferme dans ses ordres. Rendant la résolution presque impossible. Pour Sandrine et toutes ces femmes réelles, une échappatoire semble bel et bien inaccessible, tellement la peur les fige.

Un roman comme un manuel

Ce roman peut se présenter comme un véritable manuel d’aide aux femmes battues, adressé à leurs proches.

La construction psychologique de la protagoniste la rend humaine, elle semble par moment insensible. On voit également sa misogynie interiorisée, conditionnée par sa famille, la société, son compagnon, l’enfermant davantage dans une justification de ce qu’elle subit.

L’absence de description physique précise des personnages (et le bourreau surnommé seulement comme « l’homme qui pleure » et « M. Langlois ») nous donne un sentiment d’universalité. Comme si l’autrice voulait nous avertir « vous voyez, ça peut arriver n’importe où, n’importe quand. Tout autour de vous. »

« Sandrine dérive. Chaque fois qu’on lui dit « M.Langlois », elle se dit que oui, que peut-être que M.Langlois est violent.[…] M.Langlois s’énerve parce qu’elle est stupide, parce qu’elle rate des choses, qu’elle s’habille comme une pute pour séduire ses connards d’avocats. Mais l’homme qui pleure revient toujours et il est désolé. »

On comprend alors que le facteur le plus important dans le conditionnement d’une victime,est l’isolement. Le message qui en ressort est qu’il ne faut jamais laisser une victime s’enfermer dans cette situation, même si elle rejette les autres, même si elle ne voit pas ce que les autres voient. La laisser serait signer son arrêt de mort. Un arrêt de mort qui a déjà bien trop retenti.

Un roman noir remarquable par son réalisme, sa maîtrise de la psychologie des couples violents et qui nous donne envie de croire qu’une justice est possible. À mettre entre toutes les mains affirmant « que si ces femmes sont malheureuses, elles n’ont qu’à partir. » Comme affirme Louise Mey dans sa note de fin « cela revient également à déclarer que c’est simple, que notre système met tout en place pour aider et accompagner les femmes victimes de violences sexistes. Ce n’est pas le cas. »

P.C., AS, Édition-Librairie, 2020-2021

 

Sources :
« La deuxième femme » de Louise Mey, : Une lecture « brûlante » et qui laisse sans voix, France Inter, 6 février 2020, Youtube

Louise Mey, biographie, Babelio, consulté le 19 septembre 2020

Biographie de l’autrice :

Nationalité : française
Née en 1983
 Louise Mey est une écrivaine française, résidant actuellement à Paris et est déjà l’autrice de six romans et d’une pièce de théâtre. Ses écrits traitent de thématiques féministes, autour du viol, du harcèlement et des violences sexistes. En 2020, avec La Deuxième Femme, elle a été sélectionnée pour le Prix Landerneau.

Bibliographie :
Les Ravagé(e )s, Pocket, 2017 (première édition Fleuve Noir, 2016)
Embruns, Pocket, 2018 (première édition Fleuve Noir, 2017)
Les Hordes invisibles, Pocket, 2020 (première édition Fleuve Noir, 2018)
Coquillettes et crustacés : Kara – Premier trimestre, Monsieur Pop Corn, 2019
Le Jour du Vélo rouge, Lapin, 2019
La sans-visage, l’école des loisirs, 2020
Ceci est mon corps, Rageot, 2020 (parmi 6 autrices)
Chattologie – une conférence en gestion de flux, Hachette Pratique, 2021

Pour aller plus loin :
Tant pis pour l’amour : ou comment j’ai survécu à un manipulateur, Sophie Lambda, Éditions Delcourt, 2020
Ophélie, le témoignage d’une victime de violences conjugales, Et si on en parlait podcast, 9 septembre 2020.