Théâtre

Samuel BECKETT, En attendant Godot

Samuel Becket, En attendant Godot

Les éditions de Minuit, 1952
ISBN 978-2-7073-0148-2

 

« Je ne sais pas dans quel esprit je l’ai écrite.[…] Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. ».

C’est avec ces mots que Samuel Beckett, explique à Michel Polac, qu’il est dans l’incapacité de révéler les secrets de sa nouvelle pièce « En attendant Godot ». Lui-même dans le flou, il prétend ne pas comprendre davantage l’œuvre qu’un autre. Beckett, écrivain/poète et dramaturge, sort de l’écriture chaotique de sa dernière pièce Eleuthéria – dont il refuse d’ailleurs la publication – pour entamer l’écriture d’une pièce aux personnages singuliers et aux actions limitées, réalisée alors que l’Europe se remet doucement des dégâts de la guerre. C’est ainsi qu’un chef-d’œuvre du théâtre voit le jour. Bien qu’irlandais, Beckett choisit de rédiger la pièce en français, langue de son pays de cœur, la France. Il signe aux éditions de Minuit, maison d’édition anciennement au service de la Résistance.

Une pièce hors-norme

Symbole du théâtre de l’absurde, la pièce est tout sauf conventionnelle. Elle n’est composée que de deux actes à scène unique. Avec un décor simple et épuré, Beckett nous présente l’histoire de deux compagnons, vagabonds, qui se retrouvent tous les jours dans le but de rencontrer un mystérieux personnage que l’on prénomme Godot. Les deux amis, Vladimir (surnommé Didi) et Estragon (aussi appelé Gogo), conversent et jonglent entre réflexions philosophiques et répliques absurdes :

« Pozzo – Qui êtes-vous ?
Vladimir – Nous sommes des hommes.
Silence
Estragon – Ce qu’on est bien, par terre ! » p.107

L’identité des deux personnages est très peu développée dans la pièce. En effet, il n’est jamais fait mention d’aucun élément qui pourrait nous permettre de les identifier s’ils étaient absents de la scène, ce qui n’aide pas le lecteur comprendre la profondeur des personnages. Les deux causent de tout et de rien, n’évoquant presque aucun autre détail de leur identité que leur prénom.

Plus tard, deux nouveaux personnages apparaissent, il s’agit de Pozzo le maître et son esclave Lucky, dont le nom est rendu ironique par sa condition même. Une critique de l’esclavagisme est d’ailleurs faite par les deux idiots qui sont totalement insurgés par ce traitement et tourne en dérision l’autorité de l’homme :

 

« Vladimir ( résolu et bafouillant) –Traiter un homme (geste vers Lucky) de cette façon… je trouve ça… un être humain… non… C’est un homme!
Estragon (ne voulant pas être en reste) – Un scandale ! (Il se remet à ronger.) » p.35

Après leur départ, un garçon va venir les prévenir que Godot, ne viendrait pas ce soir et qu’il faudrait revenir le lendemain. Ainsi s’achève le premier acte.

Le deuxième acte commence alors. Même personnages sur la scène. Même décor. À la seule différence que l’arbre est maintenant habillé de quelques feuilles, donnant un repère dans la temporalité du récit. Didi et Gogo semblent douter de l’existence même du jour précédent, comme s’ils se retrouvaient prisonniers d’une routine tellement routinière que la différenciation des jours par la nuit s’effaçait. Ils rencontrent à nouveau Pozzo et Lucky. Le maître affirme n’être jamais venu ici et de ne pas connaître les deux amis, rendant la situation encore plus confuse pour Estragon qui précise ne pas réussir à se souvenir de la journée précédente. Grâce à ce procédé, Beckett tourne en dérision l’existence humaine. Puis encore une fois, les deux s’en vont, abandonnant de nouveau les vagabonds. La fin de la pièce approche et le garçon de l’acte 1 vient de nouveau annoncer l’absence de Godot pour ce soir-là.

Tout au long des deux actes, Godot sera attendu par les protagonistes en vain. Mais qui est-il ? Pourquoi ces deux idiots s’entêtent-ils autant à l’attendre ? Que représente-t-il ? Pour être franc, nous n’en savons rien. Beckett laisse le lecteur s’imaginer l’homme. C’est ainsi que beaucoup d’analyses iront donner différentes significations au personnage. Certains donneront à Godot un rôle humain, tandis que d’autre lui offriront une identité divine. Mais ce qui est sûr est que l’attente infructueuse de Godot sème le doute chez les deux amis qui remettent en cause le concept même de temps et d’espace. Peu à peu une frustration chez les deux personnages va s’accumuler les poussant jusqu’à l’extrême.

Bien que la trame narrative semble simple et que le type de langage utilisé soit similaire à celui du genre comique, la complexité du livre se ressent tout au long de l’ouvrage grâce à un enchaînement d’informations rapide mais laissant le lecteur dans une brume épaisse d’incompréhension. Chaque réplique provoque la surprise, et bien que la chute de certaines blagues puisse être prévisible, l’absurdité de celles-ci font forcément effet sur le lecteur. Qu’il s’agisse d’un rire sympathique, d’un rictus, d’un froncement de sourcil ou même d’un soupir, il est absolument impossible pour le spectateur/lecteur de rester de marbre face à l’écriture fine de Beckett. Par son œuvre, il ne révolutionne pas seulement le théâtre avec un changement de forme hors-norme. Non. Il donne au lecteur un tout nouveau genre basculant du comique, au tragique avec une subtilité novatrice qui permet au lecteur de comprendre la nuance des émotions, ainsi que les nuances de gris dont se compose la vie.

Sibylle Merceron, 1A Edition-Librairie, 2020-2021

Sources :
Site de l’éditeur [Consulté le 09/10/2020]

Sur la pièce :
« Samuel Beckett : en attendant plusieurs fois Godot », Le Rayon vert, février 2016, article de Sébastien Barbion, [Consulté le 09/10/2020]

Théâtre de l’absurde, article de l’Encyclopedia Universalis, [Consulté le 09/10/2020]

Biographie

Né en 1906 (Dublin)  Issu d’une famille bourgeoise, il est initié très jeune à la langue française, ce qui lui permettra de venir s’installer à Paris à 22 ans en 1928. Son début de carrière est assombri par le peu de succès que ses premiers romans rencontrent auprès des éditeurs anglais. Cela ne le décourage pas et il décide de rejoindre la Résistance française lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. C’est par la suite que Beckett est publié aux Éditions de Minuit (maison d’édition résistante pendant la Seconde Guerre mondiale), où il publie des romans, de la prose et bien sûr le théâtre de l’absurde qui lui permettra d’atteindre la notoriété et un prix Nobel en 1969. La guerre aura une grande influence dans sa conception du théâtre, car elle remettra en question l’existence de ses personnages et expliquera leur fatalité.

 

Bibliographie non exhaustive

Théâtre :

  • Fin de partie, Minuit, 1957

  • Eleuthéria, Minuit, 1995

  • Tous ceux qui tombent, Minuit, 1957

Roman :

  • Molloy, Minuit, 1951

  • Malone meurt, Minuit, 1951

Pour aller plus loin

Sur l’auteur :

  • Une vie, une œuvre : Samuel Beckett (1906-1989)

Représentation de la pièce

  • En attendant Godot, mise en scène de Walter D. Asmus, actes 1 et 2

    </