Erwan LARHER, Le livre que je ne voulais pas écrire
Quidam éditeur, 2017
ISBN 9782374910635
Être au mauvais endroit, au mauvais moment
13 novembre 2015. Erwan, grand fan de rock se prépare à aller à un concert au Bataclan, les Eagles of death metal jouent ce soir sur cette scène mythique parisienne. Rien ne pouvait présager ce qui se passerait dans les heures à suivre, aucun signe de l’horreur qui allait s’établir dans tout Paris. C’est donc en fan insouciant que Erwan s’y rend, prêt à passer un bon moment, s’amuser, danser, vivre en fait. Le destin a fait que ce soir-là ses amis qui devaient l’accompagner n’ont pas pu se joindre à lui.
« Tu es seul : les copains n’ont pas pu venir, Jeanne a préféré faire des fouettés et des jabs à son entrainement de boxe française. Tu apprendras plus tard que, chacune de leur côté (elles ne se connaissent pas), deux amies ont failli te faire la surprise de te rejoindre. » (p.25)
L’auteur va très vite entrer dans le vif du sujet, très vite il est dans le Bataclan, savourant ce concert qu’il attendait tant, puis l’impensable arriva.
« À partir de là commence une histoire que je ne voulais pas raconter. » (p.27)
Un roman qui n’était pas désiré
Ce livre ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. C’est aussi l’histoire de ses amis, de sa famille, de personnes moins proches, d’inconnus qui se sont unis face à l’horreur, mais aussi celle des assaillants. Les chapitres ne suivent pas une certaine chronologie, le passé et le présent mais aussi le futur se mélangent. Nous pouvons passer d’un chapitre à l’intérieur du Bataclan avec l’auteur puis directement à un chapitre qui se passe des mois ou des semaines plus tard, voire des années avant. Dans son entourage on lui a fortement conseillé d’écrire ce livre, mais lui ne voulait pas, il ne savait pas pourquoi il l’écrirait ou comment l’écrire.
« Ce soir-là, tu n’as rien fait qui mérite d’être su, connu, médité, relayé ou commenté par tes semblables ! Tu n’as rien fait qui puisse être montré en exemple. Tu t’es couché au sol, tu as pris une balle à bout portant, tu t’en sors sans trop de dommages. Quel lien avec ton travail de romancier, avec tes livres ? » (p.32)
Petit à petit il va se laisser convaincre par l’idée, essayer de lui donner une chance, mais rien n’en sort, ou alors très difficilement. Il ne sait pas quel pronom employer, il ne sait pas comment l’écrire. Alors il le laisse de côté. Un jour l’idée lui est venue et il a écrit ce livre. C’est aussi un des sujets clés de son livre : comment l’écrivain peut-il se réapproprier les mots dans une situation aussi grave et dévastatrice ? Il l’évoquera dans de nombreux chapitres : comment il a écrit et à quel point c’était difficile.
Pour le processus de rédaction de son livre il demanda aux personnes de son entourage, proches ou moins proches, de lui envoyer un texte sur le ressenti des évènements. Il va incorporer ces récits au sien. Ses écrits, mêlés aux émotions de ceux qu’il connait, font naître un texte puissant, poignant, et aussi parfois difficile. Dans ce livre il montre que l’inimaginable ne s’est pas seulement produit dans les lieux concernés mais partout. Qu’on fusse chez soi ou chez des amis, la vie s’est suspendue à ce moment-là. Cette vie a été dominée par la peur, la colère, la tristesse, et surtout l’inquiétude.
« Entre 22 heures et 4 heures du matin, en attendant des nouvelles d’Erwan, des milliers de pensées m’ont – naturellement – assaillie. Celles qui devaient être partagées l’ont été avec Bertrand. Les espoirs et les terreurs. La seule qui n’ait pas franchi ma bouche est celle qui aurait ou devenir la scène de “la dernière fois“, “les derniers mots“. Elle m’a grignotée toute la nuit. » (p.203)
Parfois les mots sont durs à lire, surtout lorsque l’auteur se met dans la tête des terroristes qui lui ont tiré dessus, essayant de comprendre comment ils ont pu agir comme ça, et ce qui se passait dans leur tête à deux moments clés : dans la voiture avant d’entrer et une fois à l’intérieur commençant à tirer sur leurs victimes.
« Tu as peur. Tu voudrais ouvrir la portière et t’enfuir. La mort n’est plus un mot. […] Tu as peur. Tu ne peux plus reculer. Tu t’es embringué dans une impasse. Tu le regrettes. Éfrit prie à côté de toi, les yeux mi-clos, en silence mais ses lèvre bougent. » (p. 48)
Ce roman qui aborde des sujets très réalistes fait appel à une part de fiction qui donne une tout autre dimension aux mots de l’auteur. Par ces pensées fictives, l’auteur rend une certaine humanité aux terroristes. Les lecteurs se retrouvent alors confrontés à un récit qu’ils n’étaient peut-être pas prêts à entendre : ces hommes ont eux aussi été des Hommes avant d’être confondus avec des bêtes. Mais l’auteur se confronte aussi lui-même à ses assaillants
« Est-ce qu’on aurait pu être potes, toi et moi ? Jouer au foot ou boire des coups ensemble ? » (p.48)
Ce roman est un livre tellement poignant, réel, qu’il en devient un ouvrage essentiel. L’auteur a su donner à un moment d’horreur une toute nouvelle dimension : celle de l’amour et du pardon, savoir aller de l’avant, vivre de nouveau, apprendre de nouveau à aimer la vie.
Margot Lull, 2A, Edition-Librairie, 2018-2019
Sources :
Site de l’auteur [consulté le 18/11/18]
Biographie :
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Nationalité : française
Né à : Clermont-Ferrand (1970). |
Il arrête sa carrière dans le marketing musical quelques années plus tard pour se consacrer à l’écriture. Lors des évènements du 13 novembre 2015, Erwan Larher était en train d’écrire son roman Marguerite n’aime pas ses fesses. Roman qu’il finira de corriger sur son lit d’hôpital après les attentats. |
Bibliographie :
Marguerite n’aime pas ses fesses, Quidam éditeur, 2016
Entre toutes les femmes, Plon, 2015
L’abandon du mâle en milieu hostile, Plon, 2013
Autogenèse, Michalon Éditions, 2012
Qu’avez-vous fait de moi ? Michalon Éditions, 2010
Pour aller plus loin :
Sur l’auteur et son livre :
Sur les évènements du 13 Novembre :
« 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur », mini-série documentaire, Netflix, création de Jules Naudet et Gédéon Naudet.