Littérature française

Didier JUNG, Le Chant des baleines

Didier JUNG, Le Chant des baleines

 Editions Territoires Témoins, 2015
ISBN 978-2-918634-27-0

 

Le Crime du Svalbard Express

«Une heure quinze du matin. Tandis que le soleil remonte à l’horizon, le corps sans vie de Jawad Afridi s’enfonce, mètre par mètre, dans les profondeurs obscures et glaciales de la mer de Barents.

A-t-il seulement, avant de mourir, connu l’ultime bonheur d’entendre le mystérieux et envoûtant chant des baleines ? » (p.9)

 

Concis et efficace, à l’image de son premier chapitre que vous venez de lire dans son intégralité, voilà les deux premiers adjectifs qui viennent en tête pour décrire Le Chant des baleines de Didier Jung. Depuis sa retraite de l’île de Ré, Didier Jung n’en est pas à son coup d’essai en matière d’intrigue policière, et si l’exercice semble maîtrisé, il n’est cependant pas exempt de défauts, nous en reparlerons le moment venu…

Morts sur le Spitzberg

Pour ce dixième roman, Jung invite le lecteur à suivre Ange Morazzani, ex-commandant de police, profitant tout juste d’une retraite bien méritée en partance pour une croisière vers le Svalbard, un cadeau de retraite de ses anciens collègues. Il ne faut pas bien longtemps à Ange pour être rattrapé par le métier… Morts et Larcins se sont invités à bord, et la croisière ne s’amuse plus du tout !

Tout n’avait pourtant pas si mal commencé pour le taciturne et contemplatif ex-commandant Morazzani : dans une ambiance fleurant bon le hareng salé et les jolies femmes nordiques, Didier Jung dépeint pour son protagoniste et le lecteur un Grand Nord pittoresque et enchanteur. Malgré la brièveté du roman (164 pages), l’auteur parvient en quelques phrases, quelques images, à poser un cadre vivant et immersif.

L’immensité de l’Océan Glacial Arctique et le huis-clos de l’Isbjørn (le bateau de croisière) s’équilibrent parfaitement tandis que morts et mystères s’accumulent sous le fantomal Midnattssol : le soleil de minuit.

Mais la croisière continue, et Didier Jung parvient même — entre une noyade et un crâne fracassé — à glisser çà et là quelques anecdotes insoupçonnées de ces régions perdues de la Norvège, telle l’existence de Barentsburg, ville vestige rescapée d’une colonie russo-ukrainienne datant de l’URRS, le temps d’une escale : « Ce fut une espèce de cité fantôme que découvrirent les passagers de l’Isbjørn, un décor évoquant les années cinquante. » (p.67)

Si ce cadre glacé ne manque pas d’originalité, le lecteur ne pourra cependant pas s’empêcher de trouver à ce huis-clos un aspect des plus conventionnel, une sorte de déjà-vu, ou plutôt de déjà-lu très agatha-christien que l’écriture des personnages ne fait malheureusement que renforcer…

10 petits Norvégiens

Il y a tout d’abord l’ex-commandant Ange Morazzani, pas vraiment Hercule mais tout de même très Poirot dans son flegme et son incroyable talent de déduction, talent qui relèguera bien vite au second plan le stéréotype d’inspecteur local dépassé par les évènements.

Et hélas, des stéréotypes, il y en a foule ! De la blonde allemande femme fatale, à la riche veuve italienne et son jeune gigolo, en passant par l’écrivain rêveur, le nationaliste skinhead et l’immigré arabe, les passagers de l’Isbjørn sont aussi hauts en couleurs que tristement monodimensionnels…

Ajoutez à cela un groupe de retraités norvégiens, lesquels passeront le roman à vivre leurs vies de retraités norvégiens en arrière-plan, comme si de rien n’était et vous aurez là ce qui apparait comme la principale faiblesse de ce Chant des Baleines : les stéréotypes.

Rendez-vous à Tromsø

En effet, si Didier Jung semble maitriser son propos par une plume concise et vive, on pourra toutefois lui reprocher une intrigue aux ficelles convenues, pour ne pas dire usées. Trop souvent les stéréotypes des personnages et des situations flirteront dangereusement avec le cliché, évoquant tristement les scenarii de séries policières allemandes dignes d’un dimanche après-midi pluvieux…

Cependant, et pour rendre justice à l’auteur, il est nécessaire de rappeler, avant de conclure, la brièveté de l’œuvre. En 164 pages, il eût été quasi-inconcevable de développer une intrigue révolutionnaire ainsi que la psychologie complexe d’une demi-douzaine de personnages secondaires. Ces derniers remplissent en fin de compte une fonction pratique, utilitaire dans la construction et le développement du récit, et c’est peut-être tout ce que l’on pouvait en attendre…

 

Finalement, ce Chant des baleines, avec ses airs d’hommage à Agatha Christie et Patricia Highsmith, est sans doute à prendre pour ce qu’il est : un roman de gare, assumé dans sa brièveté et son efficacité convenue. Un roman de gare qui, faute de révolutionner le genre policier, saura aisément captiver le lecteur jusqu’à la résolution finale de tous les mystères, l’occupant — pourquoi pas — le temps d’un vol Paris-Oslo direction l’embarcadère le plus proche pour le Svalbard et ses fjords, ceux-là même où, parfois, résonne le chant des baleines.

Clément ‘Thorn’ Vernier, AS, Bibliothèques-Médiathèques, 2019-2020

Sources :

 Pour la biographie de l’auteur :
Site des éditions Geste : Geste Editions [consulté le 17/11/19]

Pour la bibliographie et la photo de l’auteur : Sa page Linkedin [consultée le 15/11/19]

Pour l’illustration du roman : site de l’autre LIVRE [consulté le 15/11/19]

Didier Jung

Nationalité : Française

Né à Paris, 1946

Né en 1946 à Paris, Didier Jung, après avoir obtenu le diplôme de l’Institut d’Études Politiques de Paris, débute sa carrière professionnelle en 1970 à la Société Nationale de l’Électricité et du Gaz à Alger. Deux ans plus tard, il entre chez EDF: il fera toute sa carrière au siège de l’entreprise, dans des fonctions très diverses, particulièrement dans le domaine international. Depuis sa retraite en 2006, il partage son temps entre la région parisienne et l’île de Ré. De 2006 à 2013, il a présidé une entreprise adaptée de Nanterre, chargée de réinsérer des malades psy­chiques dans le monde du travail. Il en est aujourd’hui le secrétaire.

 

 

 

 

Bibliographie :
Le Généalogiste, Editions Aleas, 2000.
Le Minaret, Editions Le Manuscrit, 2001.
Impasse de l’Ormeau, Editions du Croît Vif, 2009.
Pique-Nique à Trousse-Chemise, Editions du Croît Vif, 2010.
Sables…, Editions du Croît Vif, 2011.
Au-delà du pont, Editions du Croît Vif, 2012.
Les anarchistes de l’île de Ré, Editions du Croît Vif, 2013, Prix du Salon du Livre de l’île de Ré 2013.
Elisée Reclus, Editions Pardès, 2013.
William Bouguereau, le peintre roi de la Belle Époque, Editions du Croît vif, 2014.
Le Chant des Baleines, Editions Territoires Témoins, 2015.
Les Cognacq-Jaÿ, Editions du Croît vif, 2015.
Disparu, Editions Territoires Témoins, 2016.
Emile Arthur Thouar, de l’île de Ré à la jungle bolivienne, Editions du Croît vif, 2017.
Jean-Daniel Coudein, commandant du radeau de la Méduse, Editions du Croît vif, 2018.
Le Noyé de Trousse-Chemise, Geste Editions, 2019.
Léonce Vieljeux, Geste Editions, 2019.

Pour aller plus loin :
Sur le Svalbard :

Le Svalbard sur Wikipédia.

Spitzberg : L’archipel du Svalbard, Gérard Bodineau.

 

Pour les titres détournés dans cette critique :
La Bibliographie d’Agatha Christie sur Wikipédia.