Littérature française

Antoine CHOPLIN, Le Héron de Guernica

Antoine CHOPLIN,

Le Héron de Guernica

Rouergue, 2011.
Points, 2015
ISBN 978-2757843321

L’art pour dire l’indicible

« Basilio se dit que la peinture ne pourra jamais rendre ça. C’est déjà difficile de conférer par le pinceau un peu d’allant à la représentation d’un être en mouvement ; mais s’il renonce à bouger ne serait-ce qu’un cil, alors là.
Il s’y essaye pourtant sans relâche Basilio. Il s’invente quelques stratagèmes pour cela ; en constate les limites ; en expérimente de nouveaux. Tous ont en commun de l’amener à tricher un peu, d’un manière ou d’une autre. À courber le rectiligne, à barbouiller un peu l’évidence du réel visible. À éroder les lignes trop nettes, les contours trop prononcés. » (p. 32)

 

Guernica, printemps 1937, Basilio peint des hérons.
Le village vit, le marché, le bal de la fin de la semaine, le doux bruissement de la simplicité court le long des pages, à peine troublé par quelques échos de la guerre : une troupe de soldats traverse la ville, des rumeurs, des familles qui pensent déménager à Bilbao au cas où les troupes nationalistes se rapprocheraient.
Mais rien de tout cela ne vient troubler Basilio, il a un cochon à vendre au marché, des haricots à conserver, et un héron à peindre pour Celestina, l’ouvrière de l’usine de confiserie qu’il aime timidement.
Et pourtant c’est un après-midi calme, après le marché, alors que Basilio est plongé dans sa peinture de héron : sa pièce maîtresse qu’il rêve d’offrir à Celestina, qu’explosent les bombes, détruisant le village, l’usine de confiserie ainsi que 1 654 vies.
Il faudra témoigner, hurler au monde la force de cet événement injuste, mais comment ?

L’histoire du massacre de Guernica, immortalisée par l’art avec le célèbre tableau de Pablo Picasso, trouve ici son pendant littéraire et imaginaire.

« Alors je comprends pas, avait dit Basilio.
Qu’est-ce que tu ne comprends pas?
Je comprend pas comment il peut peindre sur les événements de Guernica, s’il n’y était pas quand cela s’est produit.
Les artistes peuvent faire cela, avait dit le curé. » (p. 12)

Le livre a la force de nous faire interroger le réel et ses représentations, en admettant en son sein autant de visions que de personnages. En exprimant ces sensibilités multiples, il nous permet de bâtir nos propres représentations sans rien imposer, sans rien figer.

Tout comme nous sommes laissés libres d’imaginer le tableau peint par Basilio ce jour là (dont nous ne savons rien d’autre que les réactions qu’il provoque chez ceux qui le voient), nous sommes laissés libres de ressentir l’écriture d’Antoine Choplin, comme une poésie. Le regard de l’artiste est à la fois le fond et la forme du roman qui possède un vrai pouvoir évocateur, qui “fait la place” :

« Rien que ça, une bicyclette qui repose à terre, au milieu d’une place déserte. Je crois que c’est pas mal pour donner à deviner tout ce qu’on voit pas sur l’image. Toutes ces choses qui flottent dans l’air et qui fabriquent notre peur de maintenant. Qu’on peut pas graver sur du papier mais qui nous empêchent presque de respirer, par moments. Tu vois ce que je veux dire ?
Oui.
Alors je trouve que cette image de bicyclette, elle fait la place à tout ça et c’est dans ce sens qu’elle vaut bien une photographie de bombardier.» (p. 46)

Choisir comme acte de témoignage ultime de photographier une bicyclette abandonnée plutôt qu’un bombardier, imaginer une courbe là où il n’y a qu’une ligne droite, préférer un gribouillage abstrait à un portrait réaliste, c’est la démarche de l’artiste qui sait que la représentation exacte et directe ne transmet pas tout, et que, peut-être, il faut tricher, dévier, contourner pour savoir évoquer.

C’est en tous cas ce que réussit Antoine Choplin mieux que personne, car lui seul sait nous dire comme le soleil du matin taquine, comme les flammes sont fugitives et comme les images peuvent transpercer un corps.

À ceux qui demandent à quoi sert l’art, on ne peut pas trouver meilleure réponse que ce récit à l’écriture si particulière qui a su (à juste titre) se faire remarquer par la presse et les libraires, on remercie Antoine Choplin, on remercie les éditions du Rouergue, et on se souviendra encore longtemps de cette leçon de perception, unique et douce, au coeur de la catastrophe.

Le Héron de Guernica est une vraie découverte, un livre qui n’a pas besoin de tout nous dire mais qu’on sent précis comme une métaphore, rythmé comme une poésie, simple, puissant :

« les artistes peuvent faire cela » …

M.Kleinhans AS édition/librairie 2018.

Sources :
Fiche auteur sur le site des éditions Rouergue :
https://www.lerouergue.com/auteurs/choplin-antoine

Fiche auteur sur le site de l’association Lettres du Monde :
https://lettresdumonde33.com/invites-2017/antoine-choplin/
Postface du livre Le Héron de Guernica

Biographie de l’auteur :

Nationalité : France

Né à  : Châteauroux (1962)

Antoine Choplin, le diplômé d’HEC en costume cravate, est passé des chiffres aux lettres et c’est tant mieux ! Une dizaine de romans plus tard, cet amoureux de la montagne vit près de Grenoble avec ses deux enfants et assure la direction artistique du festival de l’Arpenteur.

Bibliographie non-exhaustive  :
Radeau, La Fosse aux ours, 2003. Prix des librairies Initiales 2003
L’Impasse, La Fosse aux ours, 2006.
Cour Nord,  Rouergue, coll. « La Brune », 2009.
La Nuit tombée,  La Fosse aux ours, 2012.
Une forêt d’arbres creux, La Fosse aux ours, 2015.
Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar, La Fosse aux ours, 2016. Prix Louis-Guilloux  2017.