Littérature américaine

Lois LOWRY, Le Passeur

Lois LOWRY,

Le passeur

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédérique Pressmann
Titre original : The Giver, Houghton Miffin Harcourt Publishing Company, 1993
Edition L’Ecole des loisirs, 2016
Collection Médium poche.
ISBN 978-2-211-20582-5

La perfection au prix la connaissance ?

Marquée dès son enfance par les voyages en famille et pour ses études, Lois Lowry enchaîne les carrières de photographe, de journaliste indépendante et de romancière. Elle est mère de quatre enfants et la jeunesse représente le principal public de ses productions littéraires, dans lesquelles elle aborde des sujets sérieux, vus à travers les yeux d’enfants qui sont souvent ses personnages principaux. Dans Un été pour mourir, écrit en 1977, elle évoque la leucémie qui s’insinue dans la relation entre deux sœurs. Plus tard, en 1989, dans Compte les étoiles, nous est racontée une enfance en 1943, sous l’occupation allemande à Copenhague.

Le Passeur s’inscrit dans cette logique de mettre en scène l’enfance dans les moments de questionnement de la vie. En effet, il s’agit du récit de Jonas, un jeune garçon faisant partie d’une communauté où organisation et transparence conditionnent la vie des individus. « Parler le soir des émotions qu’on avait ressenties au cours de la journée constituait un des rituels. » (p.11) Le partage et la communication sont naturels, tandis que les secrets et les mensonges sont formellement interdits. C’est à partir de ces règles de vie, établies par le Conseil des sages, que les habitants de la communauté vivent en paix, sans inégalités et de manière prospère. Bientôt âgé de douze ans, Jonas attend de savoir quelle sera son attribution, qui déterminera le rôle qu’il aura à jouer dans sa communauté. Mais Jonas n’est pas un enfant comme les autres et son destin se verra bouleversé par cette attribution.

Le passeur est souvent cité comme le premier ouvrage à offrir un point d’entrée à un jeune lectorat dans le genre littéraire de la dystopie. Le livre jouit d’une écriture fluide et d’une belle variété de personnages intéressants et caractérisés sans complications. Le personnage de Jonas, attachant et curieux, facilite l’accès pour les jeunes lecteurs et ses interrogations permettent d’aborder des sujets sérieux : le comportement à adopter au quotidien, l’attirance sexuelle, les notions de perfection et d’ordre… Jonas représente l’enfant qui s’apprête à comprendre le sens des responsabilités dans un monde qu’il croit connaître, peut-être à tort.

Le propre de la dystopie, c’est l’interrogation. La remise en cause d’une connaissance à travers la vision d’un monde qui semble d’abord idéal, mais dont le fonctionnement en coulisses donne par la suite un sentiment de malaise, face à ce qui peut paraitre comme un cruel manque d’humanité. Lois Lowry s’inscrit dans ce genre littéraire en créant un monde qui semble à la fois identique à la réalité, mais qui en diffère complètement. Se mêlent alors une apologie et une critique de cette harmonie organisée et les questions s’enchainent pour le lecteur. Elles ne trouvent leurs réponses qu’en même temps que celles de Jonas, lorsqu’il reçoit l’attribution de futur dépositaire de la mémoire. Ce rôle mystérieux qui lui est confié permet à Lowry d’aborder le sujet du savoir, de l’héritage et de sa transmission dans le cadre de la dystopie qu’elle a mise en place. Une société basée sur l’ignorance, propagée à travers plusieurs générations, peut-elle prétendre à l’harmonie ? Un monde sans couleurs est-il l’assurance de l’égalité des individus et de l’absence de conflits ?

Car la communauté ne perçoit aucune couleur. C’est l’un des aspects caractéristiques de cette histoire, qui n’est pourtant pas annoncé dès le début du récit. Dans un premier temps, seules quelques mentions amènent le lecteur à penser que la perception de ces gens est anormale. « Tu ne trouves pas qu’elle a quelque chose de bizarre, cette pomme ? » (p.34) Jonas seul se rend compte progressivement d’une curiosité dans son environnement, à travers des sortes de visions où, pendant un très court instant, des objets semblent soudainement différents. À un autre moment, le lecteur apprend que Jonas a les yeux pâles. Cela ne veut rien dire, jusqu’à ce que soit révélée la vérité sur cette société où personne n’est en mesure de voir les couleurs.

Une autre caractéristique fondamentale de cette œuvre dystopique, c’est le concept de l’élargissement, qui concerne toute une partie de la communauté : tous les nouveaux nés qui qui ne grandissent pas comme il faudrait, tous les anciens qui prennent de l’âge, ou tous les désobéissants récidivistes, en somme tous ceux qui ne peuvent pas participer efficacement au bon fonctionnement de la communauté sont élargis. Qu’est-ce que cela signifie ? Jonas l’ignore, comme la plupart des membres de la communauté. Cela n’est pas une notion grave, certains en font même un sujet de plaisanteries, mais le doute persiste pour le lecteur, qui est mis face au mystère de l’isolement de ces personnes. La romancière pose alors la question de l’égalité si parfaite qui semble régner dans cette société. Peut-on vraiment parler d’égalité si certaines personnes, déclarées inaptes, sont isolées ? Le concept de sélection n’est-il pas un frein à celui d’égalité des chances ?

Le passeur donne à lire une aventure humaine dans un monde débarrassé de ce qui fait son humanité : sa diversité. Un jeune lectorat y trouvera des leçons à étudier, tandis qu’un lecteur plus mûr y verra un reflet de ce qui a pu être, tout en gardant un regard tourné vers ce qui pourrait toujours arriver. Lois Lowry signe une dystopie grand public et atemporelle qui interroge le sens des choses et propose une remise en question des acquis.

Robin Lalagüe, AS, Edition-Librairie, 2018-2019

Sources :
Site L’école des loisirs, pages sur Lois Lowry, sur Le passeur et Compte les étoiles :
https://www.ecoledesloisirs.fr/auteur/lois-lowry

Site Babelio, page sur Un été pour mourir :
https://www.babelio.com/livres/Lowry-Un-ete-pour-mourir/171434

Biographie

Nationalité : Etats-Unis

Née en 1937 (Honolulu)

Elle a vécu à New York, en Pennsylvanie et au Japon. Elle a reçu le prix du livre pour enfants de l’Association internationale pour la lecture pour Un été pour mourir, son premier roman.

 

Bibliographie non exhaustive :
Un été pour mourir, Duculot, Bruxelles, 1979
Compte les étoiles, L’école des loisirs, Paris, 1990
Anastasia Krupnik, L’école des loisirs, Paris, 1996
Passeuse de rêves, L’école des loisirs, Paris, 2010