Littérature française

Chantal THOMAS, L’échange des princesses

Chantal THOMAS,

L’échange des princesses

Seuil, 2013.
Points, 2014.
ISBN 978-2-02-111913-8

Un échange des plus étrange…

L’histoire de deux petites princesses…

Chantal Thomas, romancière française de renom, est connue dans la littérature française en tant que spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle. Elle s’illustre tout particulièrement dans deux genres littéraires, ceux de l’essai et de l’autobiographie.

Récemment, pour la rentrée littéraire 2017, elle a publiée Souvenirs de la marée basse, ouvrage retraçant son enfance passée au bord du bassin d’Arcachon où elle rend un hommage saisissant à sa mère, Jackie. On peut d’ailleurs considérer ce roman, selon sa propre définition, comme une « autobiographie indirecte », genre « qui mêle étroitement les impressions de lecture, l’analyse d’œuvres choisies, les souvenirs, et les bribes d’expérience personnelle »1.

Pour L’échange des princesses, roman au titre évocateur, elle retrace le destin de deux jeunes princesses, l’une fille du régent de France, Philippe d’Orléans, l’autre infante espagnole et fille du roi Philippe V. Toutes deux vont se voir arrachées très jeunes à leur famille pour des raisons de diplomatie, notamment pour consolider l’alliance et la paix entre les deux pays où de nombreuses années de guerre ont fait beaucoup de victimes. Par ailleurs, pour conserver la pureté du lignage, il ne faut pas mélanger les sang royaux à n’importe qui. Cette « affaire » d’échange est une idée à l’origine du Régent qui voyait en ce mariage un moyen de renforcer son pouvoir sur la scène européenne. En effet, il s’agit de marier respectivement ces très jeunes princesses à l’héritier du trône d’Espagne pour Louise Élisabeth d’Orléans, et au jeune Louis XV, à peine âgé de 12 ans, pour Marie-Anne Victoire ou Marianina comme aiment à l’appeler ses parents.

Ces deux petites filles vont alors être plongées chacune dans la vie de la cour de l’autre pays, coupées de tous leurs contacts familiaux, afin qu’elles deviennent à long terme des épouses royales. L’originalité ou plutôt la cruauté de ce double mariage réside dans les âges des deux fillettes. La première, promise au trône d’Espagne a 12 ans et la deuxième, destinée à devenir reine de France, n’a pas encore 4 ans. Ainsi dès le début de son récit, Chantal Thomas nous montre que cette idée d’échange s’apparente à un commerce des plus commun tel un envoi de marchandises bon à négocier une paix durable et assouvir des egos démesurés. On s’interroge ainsi :

« Pourquoi une telle urgence à expédier en plein hiver, et pour un voyage qui a toute chance de la tuer, une petite fille qu’ils prétendent chérir ? Ce mariage n’est-il qu’un mirage vers lequel il faut s’empresser de courir avant qu’il ne s’efface ? ». (p.68)

Un récit «va et vient»

Pour son roman, Chantal Thomas a choisi le style épistolaire. Il est composé de 4 grandes parties, chacune divisée ensuite non pas en chapitres mais par des noms de lieux suivis d’une période ou bien d’une date précise. Ainsi le récit s’ouvre sur une première partie intitulée

« Une excellente idée » puis « Paris, été 1721 ».

C’est une construction littéraire intéressante car elle nous permet de voyager et dans le temps et dans l’espace. Le lecteur est ainsi invité à se plonger à la fois dans la vie quotidienne des deux petites princesses mais aussi dans leurs faits et gestes.

Les deux lieux principaux de l’intrigue sont en toute logique Paris et Madrid. D’un côté, la cour du roi de France où la jeune infante espagnole est entourée de nombreux libertins. A l’inverse, à la cour d’Espagne, une tout autre ambiance entoure Mademoiselle de Montpensier, fille du Régent, assiégée et surveillée en permanence par des catholiques rigoristes.

Une narration du quotidien très précise

A travers son récit, Chantal Thomas plonge son lecteur dans le quotidien de la vie à la cour royale, qu’elle soit espagnole ou bien française, au XVIIIe siècle.

Elle y fait des descriptions très précises du mode de vie observé à cette époque. Ainsi, on apprend qu’à cette période de l’Histoire, les cours royales européennes étaient encore itinérantes, elles se déplaçaient de châteaux en châteaux en fonction des saisons : « Louis XV s’apprête à quitter Versailles, où cet été – l’été de ses quatorze ans – il rêve à l’avance des festivités qui vont faire du séjour à Fontainebleau une saga flamboyante.» (p. 253).

Une expression de sentiments féminins tout au long du récit

Tout au long de son roman, Chantal Thomas n’oublie pas d’analyser les sentiments des deux protagonistes qui malgré leur jeune âge n’hésitent pas à s’affirmer. Quand pour Marie-Anne Victoire (jeune infante espagnole) tout n’est que joie et respect : «Elle éclate d’amour. Et cette déflagration intérieure vaut pour elle comme la révélation de la joie. Elle, qui vient de quitter famille et pays, s’en remet de toute son âme à ce seigneur et roi que Dieu lui a choisi.» (p. 101)… pour Mademoiselle de Montpensier tout n’est que haine et dégoût : «La princesse lui a roté à la gueule le puissant renvoi de son mariage.» (p. 87).

Une utilisation de documents authentiques

Enfin, ce qui rend ce récit hors du commun c’est qu’en plus de s’être richement documentée pour écrire son œuvre, Chantal Thomas utilise des lettres et des correspondances authentiques qui proviennent soit des archives historiques de Madrid et des extraits de presse tirés de la Gazette de France, soit des personnages eux-mêmes.

En voici un exemple tiré du texte, d’une lettre adressée au roi et à la reine d’Espagne, écrite de la main de Madame de Ventadour, gouvernante de l’infante, sur le trajet qui la mène à Paris :

« Ce 10 janvier de St-Jean-de-Luz
Notre reine a dormi comme une merveille. Nous en sommes tous enchantés. De temps en temps elle demande sa mie et quelquefois pleure mais cela passe en un moment. Je laisse sa remueuse lui donner tout ce qui lui faut pour la laisser accoutumer. Ce qu’elle fera bientôt. Elle a baisé ce matin le portrait du roi et le vôtre Madame en m’ordonnant de vous faire bien
des compliments. » (p. 89)

Ainsi donc, ce livre peut se mettre entre toutes les mains, que vous soyez passionné de romans historiques ou romanesques, n’hésitez pas car ce livre est une vraie promenade dans le passé qui permet de découvrir une tranche de notre histoire comme si on y était !

1Cf émission « L’heure bleue » mentionnée dans les sources.

Pierre Le Moal, 2e année Bibliothèques-Médiathèques-Patrimoine, 2018-2019

Sources :

Présentation de l’auteur :
https://www.franceculture.fr/personne-chantal-thomas.html

Site du Seuil

Biographie de l’auteure :

Nationalité : Française
Né en 1945

Chantal Thomas, prix Femina 2002 pour Les Adieux à la Reine, est directrice de recherches au CNRS. Elle a écrit sur Sade, Casanova, le XVIIIe siècle. Essayiste, romancière, auteur de pièces de théâtre, elle a notamment publié Thomas Bernhard, le briseur de silence (Seuil), Souffrir (Payot) et Comment supporter sa liberté (Payot).

Bibliographie complète de l’auteure :

Souffrir, Payot & Rivages, 2018
Souvenirs de la marée basse, Seuil, 2017
Pour Roland Barthes, Seuil, 2015
L’esprit de conversation, Payot & Rivages, 2011
Le Testament d’Olympe, Seuil, 2010
Cafés de la mémoire, Seuil, 2008
Thomas Bernhard, le briseur de silence, Seuil, 2006
Sade, la dissertation et l’orgie, Payot & Rivages, 2002
Les Adieux à la reine, Seuil, 2002
Comment supporter sa liberté, Payot & Rivages, 2000

Pour aller plus loin :

Émission radiophonique : Lecture d’un extrait de L’échange des princesses par Nathalie Dessay :

Adaptation cinématographique :

L’échange des princesses (2017) de Marc Dugain, avec Lambert Wilson, Anamaria Vartolomei, Olivier Gourmet