Littérature française

Olivier BOURDEAUT, En attendant Bojangles

Olivier BOURDEAUT, En attendant Bojangles

Finitude, 2016
ISBN : 978-2-36-339063 -9
Réédition : Gallimard, collection Folio, 2017
ISBN : 9782070782369

 

 Premier roman de l’auteur Olivier Bourdeaut, « En attendant Bojangles » est un véritable événement littéraire : rencontrant le succès dès les premières semaines de parution, et tiré initialement à 10000 exemplaires début 2016, il devra être réimprimé jusqu’à 225000 exemplaires quelques mois plus tard. Bénéficiant de bonnes critiques dans la presse, le livre va remporter plusieurs prix littéraires : le Grand prix RTL-Lire, le prix du roman des étudiants France Culture – Télérama, le prix France Télévisions… Mais l’auteur, discret par nature, ne cherche aucunement à briller sous les projecteurs, et n’a provoqué aucun mouvement de « starification » de sa personne.

Un roman particulier
« Brillant », « magique », « loufoque », « surréaliste… » sont quelques-uns des adjectifs exprimés dans la presse pour décrire le contenu du livre. C’est un récit plutôt court, mais extrêmement dense ; l’écriture est fluide mais précise. La magie opère notamment grâce au ton du narrateur, un jeune garçon qui observe avec candeur, tendresse et humour les comportements déroutants et mystérieux des adultes. Si la majorité du récit est racontée du point de vue du jeune garçon, il comporte également un deuxième narrateur : le père, dont les apartés se différencient du reste du texte en étant écrits en italique. Ce procédé participe à la construction narrative de l’action : l’histoire complète est racontée par le jeune garçon, sur un ton poétique et ingénu dans un style à la Prévert, doué d’un solide bon sens. Les interventions du père (qui sont des notes écrites par celui-ci dans des carnets, retrouvés par le jeune garçon après la saga familiale) donnent au texte une touche plus sérieuse et apportent un début d’explication au chaos apparent de cette famille définitivement pas comme les autres.

Une existence hors-normes
Le véritable personnage central dans ce récit n’est pas le narrateur, mais sa mère. Solaire, sans-gêne et totalement extravertie, elle bouscule les conventions et oublie les normes.

« D’elle, mon père disait qu’elle tutoyait les étoiles, ce qui me semblait étrange car elle vouvoyait tout le monde, y compris moi » (p. 20).

Leur rencontre durant un banal cocktail se soldera par un coup de foudre mutuel, avec pour le père un véritable sentiment de basculement : « Le temps d’un cocktail, d’une danse, une femme folle et chapeautée d’ailes m’avait rendu fou d’elle en m’invitant à partager sa démence » (p.45). C’est elle qui insuffle au quotidien un grain de folie, un aspect absurde aux situations les plus sérieuses de la vie sociale. La vie familiale fonctionne selon le même principe : la vie doit être une fête perpétuelle, un enchantement permanent. Les parents reçoivent énormément et côtoient des personnalités diverses, notamment grâce à leur solide amitié avec un sénateur (affectueusement surnommé : « l’Ordure »). Ils vivent dans le sybaritisme le plus complet, et suite à un défi lancé par un convive lors d’une soirée, vont se porter acquéreurs d’un « château » (une grande maison pompeusement baptisée «El castel ») en Espagne. Le père, après avoir ardemment travaillé dans le secteur du contrôle technique automobile, réussit à mettre sa famille à l’abri du besoin sur le plan financier (« Je travaille tard pour pouvoir m’arrêter tôt (…) » p. 16). La naissance de leur fils apporte une courte trêve d’apparente normalité, mais peu à peu leur style de vie totalement fantasque les conduit à le retirer de l’école pour l’éduquer à leur manière : « Après m’avoir retiré de l’école, mes parents me disaient souvent qu’ils m’avaient offert une belle retraite anticipée » (p. 53). Le jeune narrateur regarde ainsi fasciné ses parents danser sans cesse sur leur morceau préféré, « Mr. Bojangles » chanté par Nina Simone ; ce morceau fétiche pour le couple passait à la radio le soir de leur mariage improvisé dans une chapelle perdue. La première partie du récit se déroule ainsi, au rythme des fêtes et des vacances improvisées n’importe quand dans la villa espagnole, au mépris de toutes les contingences de la vie quotidienne : « Dans un coin du hall, il y avait une montagne de courrier que mes parents avaient constituée en jetant, sans les ouvrir, toutes les lettres qu’ils recevaient. » (p. 25). Mais la réalité va brutalement se rappeler à eux, et mettre dangereusement en péril leur style de vie insouciant…

Un basculement psychique
La deuxième moitié du récit marque le rappel cinglant à la réalité, et un changement psychologique marqué chez la mère ; l’élément déclencheur est la visite d’un inspecteur des impôts, qui après leur avoir énoncé les sommes astronomiques dont la famille était redevable, se fait physiquement mettre à la porte par la mère. Cet évènement va provoquer chez celle-ci des changements dans son comportement, anodins au début, mais qui vont vite révéler une cassure psychologique, une véritable fracture psychique :

« Le problème, c’est qu’elle perdait complètement la tête. Bien sûr, la partie visible restait sur ses épaules, mais le reste, on ne savait pas où il allait. » (p.78).

Après qu’elle ait tenté de mettre le feu à leur appartement, le père décide, sur avis médical, de la faire interner dans un institut spécialisé. Au début, la famille accepte ce nouveau mode de vie avec humour et légèreté ; mais le diagnostic tombe, sans appel : « Hystérie, bipolarité, schizophrénie, les médecins l’avaient accablée de tout leur savant vocable pour désigner les fous à lier. » (p, 123). Pour ne pas la perdre, le père et le fils organisent un faux kidnapping de la mère et partent s’installer, sans laisser de traces, dans leur demeure espagnole.

 C’est un roman doux-amer, qui diffuse une certaine magie tout au long du récit : on est portés par les personnages, leurs caractères et l’atmosphère de douce folie qu’ils procurent. Même si la fin peut paraître morbide, c’est pourtant la vie qui est célébrée dans ce livre. Une vie libre, sans concessions et dédiée à la poésie du quotidien.

 W.B., AS Bibliothèques-Médiathèques, 2018-2019

Sources
Site de l’éditeur [consulté le 09/11/2018]

Biographie de l’auteur :

Nationalité : française.

Né à : Nantes (1980).

Olivier Bourdeaut est né au bord de l’Océan Atlantique en 1980. L’Éducation Nationale, refusant de comprendre ce qu’il voulait apprendre, lui rendit très vite sa liberté. Durant dix ans il  travailla dans l’immobilier allant de fiascos en échecs avec un enthousiasme constant.  Puis, pendant deux ans, il devint responsable d’une agence d’experts en plomb, il fut également ouvreur de robinets dans un hôpital, factotum dans une maison d’édition de livres scolaires et cueilleur de fleur de sel de Guérande au Croisic, entre autres.

Bibliographie complète
En attendant Bojangles, Finitude, 2016 (réédition : Gallimard, collection Folio, 2017).  Prix du roman des étudiants France Culture – Télérama 2016, Grand Prix RTL-Lire 2016, Prix Emmanuel-Roblès 2016, Prix Roman France Télévisions 2016.
Pactum Salis, Finitude, 2018

Pour aller plus loin
Sur l’auteur :
Un article de La Croix