Littérature française

Nathalie SARRAUTE, Enfance

Nathalie SARRAUTE,

Enfance

Gallimard
Folio, 1983
ISBN 978-2-07-037684-1

La talentueuse Nathalie Sarraute est certainement parmi les noms que l’on retient quand on parle du Nouveau Roman. Son œuvre Tropismes, qui rassemble ces premiers textes est parfois citée comme l’« ancêtre » de ce mouvement littéraire. En effet ces œuvres vont à l’encontre des conventions du roman du XIXe siècle.

En 1983 elle publie Enfance, son autobiographie qui reçoit le Prix Grinzane Cavour International en 1984. Dans ce livre elle relate ses souvenirs depuis ses cinq ans environ jusqu’à ses onze ans. Elle décrit des évènements marquants ainsi que ses émotions, ses « idées »1, ses gênes et ses préoccupations.

« Des petits bouts de quelque chose d’encore vivant » (p.9)

Son écriture nous rappelle la manière dont les pensées traversent l’esprit, les phrases sont souvent suspendues, comme ses souvenirs. Sa réflexion autour de son enfance est comme une balade pour le lecteur. Ce sont les idées qui guident le récit et non les évènements, les actions. Souvent elle tente de coller des mots à ses sensations, comme celles de la « joie », du « bonheur » (p.67).

Les différentes parties de cette autobiographie ne se présentent pas sous forme de chapitres traditionnels titrés ou numérotés. Toutes ces petites histoires n’ont pas de liens logiques entre elles, mais le récit semble chronologique.

L’exactitude des mots est fondamentale dans l’écriture innovante de cette écrivaine. Pour cela, les débuts de sa vie sont racontés de manière originale comme un dialogue entre elle-même et son double. Une petite voix rythme le récit par ses nombreuses interventions pour aller au plus près de la vérité, avec des questions qui la font douter : « Tu sentais cela vraiment à ce moment ? » (p.39). Ces interrogations et remarques récurrentes corrigent la mémoire de Nathalie Sarraute, et l’encouragent à se dévoiler davantage. Elles lui permettent, de revenir sur des souvenirs en particulier, d’en apporter des précisions supplémentaires, de guider la lecture. L’accent est porté sur les effets des ressentis durant l’enfance sur le développement de son identité, ce qui crée la profondeur de cette œuvre.

« …le chagrin, l’indignation » (p.219)

Lorsqu’elle présente son beau-père Kolia, c’est cette petite voix qui l’incite à revenir sur la fois précise où elle s’est sentie de trop, dérangeante. Avec cette sensation d’être « un corps étranger » (p75) face à sa mère et Kolia. Ils lui reprochaient de s’immiscer dans leur jeu.

A cet âge, l’abandon, la trahison, l’injustice sont des sentiments nouveaux. Nathalie Sarraute a particulièrement bien sélectionné les premiers moments où ces émotions apparaissent pour la première fois dans sa vie. Elle tente de les décrire et de reconnaître les éléments déclencheurs.

En effet, son enfance n’est pas des plus ordinaire. Abandonnée par sa mère très jeune, elle vit à Paris avec son père et Vera, sa belle-mère. C’est essentiellement une relation par correspondance qu’elle a avec sa mère. Sa relation avec son père est forte, mais non démonstrative. Elle est issue d’une famille recomposée au début du XXe siècle. Sa situation familiale lui vaut des voyages entre Paris, la Russie, la Suisse.

Les préoccupations auxquelles elle a été confrontée sont toujours d’actualité un siècle plus tard chez les enfants. Par exemple l’injustice perçue après l’arrivée d’un second enfant dans une famille, le sentiment d’abandon après un divorce. Après la venue de sa petite sœur, à qui l’on donne sa chambre, elle se sent délaissée et accuse sa famille de « préférence injuste » (p.120) envers la nouvelle. L’environnement dans lequel elle a grandi a sans doute contribué à son avenir en tant que personne et écrivaine.

« Il y a des livres partout, dans toutes les pièces » (p.81)

Née d’une mère écrivaine et d’un père docteur en sciences, très cultivé, Nathalie Sarraute a grandi entourée d’adultes qui aimaient lire. Lorsqu’elle vit avec sa mère et Kolia, elle entendait leurs conversations et ils « parlaient le plus souvent d’écrivains, de livres… » (p.73). Son père aussi avait pour habitude de pratiquer la lecture. La place accordée aux livres a influencé cette célèbre auteure que nous connaissons aujourd’hui.

A partir de l’instant où elle a appris à écrire, elle a commencé à se plaire à mettre ses idées, ses inventions, son imagination sur papier. Cette petite fille aimait manier les mots, et son premier « traumatisme de l’enfance » remonte précisément au jour où elle a montré son petit carnet qui contenait son roman à un ami de sa mère. Il lui a alors sèchement répondu qu’ « Avant de commencer à écrire un roman, il faut apprendre l’orthographe… » (p.85). Cette phrase retentira dans son esprit à chaque fois qu’elle sera plongée dans son cahier.

Plus tard l’école communale aura beaucoup d’importance dans son apprentissage et son usage de la langue, elle reprendra goût à l’écriture. Elle avoue même vouloir devenir institutrice. En tant que lecteur on ressent que sa destinée était d’écrire des livres, même si elle a fini par exercer la profession de juriste internationale. Sa vocation était peut-être de nous offrir ces remarquables œuvres littéraires du XXe siècle dont Enfance. Ce roman fut réédité plusieurs fois depuis sa première publication, signe de son grand succès.

1Terme cité à plusieurs reprises dans le roman.

Amina Ouehbi, 1A Bibliothèque-Médiathèque, 2018-2019

Sources :
Biographie et bibliographie :
Marianne ALPHANT, « SARRAUTE NATHALIE – (1900-1999) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 5 décembre 2018. 

Le nouveau roman :
Pierre-Louis REY, « ROMAN – Le nouveau roman », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 5 décembre 2018.

Hélène COMBIS, « Le nouveau roman en 5 grands principes » [en ligne], consulté le 2 décembre 2018.URL :
https://www.franceculture.fr/litterature/le-nouveau-roman-en-5-grands-principes

Biographie de l’auteur 

Nationalité : française (née en Russie).

1900-1999

La France est considérée comme son pays d’adoption. Après des études de droit, elle devient juriste mais, issue d’une famille juive, elle perd son droit d’exercer en 1941. Son talent est fortement reconnu après la Seconde Guerre mondiale. C’est une grande figure du nouveau roman.

Bibliographie sélective de l’auteure :
Romans :
Tropismes (1ère éd. Denoël), Les éditions de Minuit, 1939
L’ère du soupçon, Gallimard, 1956 ( Folio essais n°76)
Le Planétarium, Gallimard, 1959 (Folio n°92)
Les Fruits d’or, Gallimard, 1963 (Folio n°390, Prix international de Littérature)

Théâtre :
Elle est là, C’est beau, Isma, Le Mensonge, Le Silence, Gallimard, 1978
Pour un oui ou pour un non, Gallimard, 1982.

Pour aller plus loin :
Interview de Jean Ricardou sur le nouveau roman sur France Culture, le 1er janvier 1971.
https://www.franceculture.fr/litterature/le-nouveau-roman-en-5-grands-principes