Littérature américaine

David VANN, Aquarium

David VANN,  Aquarium

 

Traduit de l’américain par Laura Derajinski
Titre original : « Aquarium », Grove Press, 2015.
Gallmeister, collection Totem, avril 2018
Parution originale dans la collection Americana en octobre 2016
ISBN 978-2-35178-117-3

De nombreux romans de David Vann s’apparentent à la tragédie grecque, comme Sukkwan Island, l’une des oeuvres les plus emblématiques de l’auteur. Il souligne dans de nombreuses interviews que Aquarium est un roman unique pour lui, puisqu’il n’est pas construit sur le même schéma que les autres : «Tous mes livres, y compris Bright Air Black, sont en lien avec la tragédie grecque. Aquarium ne touche ni à la tragédie, ni à la religion, ni à ma famille.» (Interview de David Vann pour le journal Libération).

Mais ce qui rend Aquarium si spécial pour ses lecteurs, c’est avant tout son histoire et ses personnages si particuliers.

La vie, un océan sans fond

            Caitlin, 12 ans, est l’héroïne du roman de David Vann. Passionnée par les poissons, elle court chaque soir, après la classe, vers l’aquarium de sa ville. C’est une jeune fille surprenante, qui connaît les créatures marines sur le bout de ses doigts, mieux qu’elle ne connaît les êtres humains. «Je m’arrêtai devant le plus grand bassin, une paroi entière bleu pâle et floue, rassurante, sans le moindre bruit. Le mouvement lent des requins, un mouvement identique depuis cent millions d’années. Les requins tels des moines, la répétition des jours, des cercles infinis, nul autre désir que celui de ce mouvement régulier. Des yeux devenus opaques, nul besoin de voir. Nul habit chamarré mais vêtus de gris et de blanc sur le ventre. Vus d’en haut, ils auraient pu se confondre avec le plancher marin. Vus d’en dessous, ils auraient pu se confondre avec le ciel.» (p.22-23)

Ce sont des descriptions pleines de poésie que nous livre l’auteur. Même sans connaître particulièrement ces êtres marins, ils deviennent à nos yeux fascinants et enchanteurs. Il nous arrive même parfois de les envier, comme le fait la jeune Caitlin. En effet, même s’ils sont enfermés à longueur de temps dans cette cage transparente, ils vivent en paix et en harmonie, et n’ont pas à se soucier du monde extérieur et des problèmes que peuvent affronter les êtres humains.

La réalité semble difficile à affronter pour Caitlin, qui se réfugie à la lueur bleuté des aquariums lui apportant sécurité et stabilité. En effet, la jeune fille vit avec sa mère, dans un petit appartement qui tombe en ruine, à Seattle. Sheri, sa mère, jongle entre différents emplois, pour tenter de survivre et d’offrir une vie décente à sa fille unique. Les deux femmes ont une routine bien à elles, où s’ajoutent parfois quelques hommes, que fréquente régulièrement Sheri. Mais personne n’a jamais réussi à se faire une place dans cette famille.

Si parfois, tout semble aller pour le mieux, David Vann joue avec un équilibre fragile, où la lumière menace de basculer à chaque instant dans le noir.

C’est lorsque Caitlin rencontre un vieil homme à l’aquarium, qui partage sa passion, que tout va basculer, et que la vie de l’héroïne est bouleversée à tout jamais.

«S’il vous plaît, dis-je mais ma voix était si affaiblie. Je me retrouvai seule dans cet étroit couloir sombre, tombée dans les abysses, et je me recroquevillai sur le banc, observant les méduses au-dessus. Des cercles de lumière, des lunes vivantes. Mon coeur fait de pierre, noir et dur, mais les méduses étaient faites d’une matière plus calme, rassurante.» (p.53)

 L’écriture de David Vann d’une noirceur exceptionnelle.

            C’est cette noirceur qui rend ce livre de David Vann si particulier. C’est un texte cru, où l’auteur ne fait pas de détour pour nous raconter l’histoire de cette famille. Il nous livre un récit sombre, à la limite du sordide, tout en gardant savamment un équilibre léger, mais présent, pour empêcher que le lecteur ne s’enfonce dans le désespoir qui habite les personnages. C’est peut-être grâce au choix d’un personnage encore enfant, qui ne se rend pas forcément compte de la gravité des actes des adultes. En choisissant Caitlin, David Vann nous offre une part d’innocence, qui tente de nous sauver, de nous empêcher de nous noyer, comme le font malheureusement d’autres personnages.

«Je ne dormis pas cette nuit. Perdus dans la pénombre, des avions au-dessus de la surface. Leur bruit pareil à des missiles se rapprochant. Une lumière légère et fluide sur le plafond, la face intérieure des vagues. Un océan vide, froid et sans texture, incapable d’étouffer les sons. Disparues les lumières plus petites, la bioluminescence est un simple souvenir, plus aucune constellation» (p.89)

 Lire Aquarium, c’est retenir son souffle devant une intrigue sombre et haletante, c’est battre un record d’apnée pour tenir jusqu’au dénouement. Nous devons nous jeter à l’eau pour affronter les écueils auxquels Caitlin se heurte, et qui, malgré son jeune âge, garde la tête hors de l’eau. Pour découvrir son histoire, nous nous devons de la suivre, quitte à plonger dans les abysses.

 

Sources :

Gallmeister

 Biographie de l’auteur

Nationalité : américaine
Né en 1966, en Alaska, sur l’île d’Adak
 Passionné par les voyages, il réalisera de nombreux exploits impressionnants, comme la traversée des Etats-Unis en char à voile, ou bien la tentative d’un tour du monde en solitaire en trimaran. Aujourd’hui, il enseigne la littérature, tout en continuant à voyager et à écrire, ses deux passions. Il a gagné le Prix Médicis étranger avec son roman Sukkwan Island en 2010.

 

Bibliographie de l’auteur

Sukkwan Island, Gallmeister, 2010.
Désolations, Gallmeister, 2011.
Goat Mountain, Gallmeister, 2014.
Dernier jour sur terre, Gallmeister, 2014.
L’Obscure Clarté de l’air, Gallmeister, 2017.

Pour aller plus loin

Émission « L’humeur vagabonde » avec David Vann le 15 septembre 2014 sur France Inter, consultable en podcast à l’adresse :

https://www.franceinter.fr/emissions/l-humeur-vagabonde/l-humeur-vagabonde-15-septembre-2014

Émission « La grande table » avec David Vann le 11 octobre 2016 sur France Culture, consultable en podcast à l’adresse :