Littérature française

Edouard LOUIS, En finir avec Eddy Bellegueule 

Edouard LOUIS, En finir avec Eddy Bellegueule 

 Seuil, 2014
Collection Cadre rouge
ISBN : 2021117707 

S’il est auréolé du terme « fiction », c’est bien sa propre enfance que l’écrivain narre dans son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule (son patronyme originel). Celui-ci nous raconte  l’époque où il n’avait pas renié ses origines au point de s’appeler à présent Edouard Louis. Ayant grandi dans un petit village de Picardie, où il découvre peu à peu son homosexualité et la haine que sa propre classe sociale porte envers sa personne, au point de le rejeter, lui et ses manières qui effraient et dégoûtent les autres, dès sa plus tendre enfance, Edouard Louis nous dépeint ici son propre parcours dans un village où tout le monde, même sa famille, va l’exclure et le condamner sans aucune forme de procès ; de son dégoût de lui-même, de sa tentative d’intégration, de la découverte de la sexualité, jusqu’à, finalement, sa fuite pour s’en sortir. 

L’effroyable dépiction d’une réalité sociale 

 C’est avec une écriture percutante, qui nous fait alterner entre l’intérêt pour ce que vit le jeune Eddy, et le côté malsain, implacable de son parcours, que l’écrivain parvient à nous faire entrer dans son univers, entre dégoût et fascination. A travers cette œuvre, Edouard Louis analyse et tente de comprendre la classe sociale dans laquelle il a grandi et où tout semble réglé à l’avance, tels les rouages d’une société dont on ne peut s’échapper, nous faisant irrémédiablement penser aux travaux d’Annie Ernaux. Ainsi, il dénonce une réalité sociale qui peut parfois se montrer dure : le chômage, les difficultés financières, la misère sociale, le manque de culture, l’ennui, l’alcoolisme, les violences domestiques, le rejet des différences telles que le racisme, mais surtout l’homophobie dont il a été victime, avec son lot de brimades et de violences sexuelles. 

 «  Elle ne comprenait pas que sa trajectoire, ce qu’elle appelait ses erreurs, entrait au contraire dans un ensemble de mécanismes parfaitement logiques, presque réglés d’avance, implacables. » ( p. 64 ) 

La douleur du rejet 

 Tout au long de la lecture, il est possible de ressentir une certaine forme de fatalisme vis-à-vis de la situation du personnage principal :  né au sein d’une classe ouvrière dans un petit village,  préférant les garçons, il tentera vainement de s’intégrer à cet univers qui le rejette dans la première partie du roman. Les violences, aussi bien physiques que morales, proférées par des camarades, par des adultes de son village, par ses parents, frères et sœurs, iront jusqu’à lui faire croire que c’est réellement de lui que le « problème » provient, jusqu’à engendrer un dégoût de lui-même et à rejeter toute une part de lui, de sa propre sexualité. Dans cette société où le crime est « d’avoir l’air », le jeune Eddy tentera tant bien que mal de se falsifier, de passer pour quelqu’un qu’il n’est pas, bien avant de comprendre avec une forme de déchirement que cette méthode ne fonctionnerait pas quoi qu’il advienne. 

« En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. » (Quatrième de couverture) 

 Fuir pour survivre 

C’est donc par contrainte, en constatant sa défaite dans sa tentative de soumettre son corps à l’hétérosexualité au travers de ses relations avec une Laura et une Sabrina, que le jeune Eddy finira par se révolter contre ce milieu social qui l’a rejeté en premier lieu. D’abord au travers d’une tentative de fugue, puis, plus concrètement, en choisissant de suivre des études de théâtre loin de chez lui, à Amiens, le jeune homme parviendra à la fois à s’extraire de sa condition sociale et de son  destin d’aller travailler à l’usine, qui semblait être écrit bien à l’avance, mais aussi de son village et de cette famille qui l’étouffaient et le condamnaient. 

« Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. » ( p. 196 ) 

 L’auteur nous livre à travers cet ouvrage, empreint de déterminisme social façon Bourdieu, son expérience poignante. Il nous prouve par la même occasion qu’il est possible de s’insurger et de s’extraire de sa propre classe sociale tout en pointant du doigt ses rouages implacable. Le point d’orgue de cette insurrection se retrouve dans le fait qu’il ait renié ses origines au point de changer d’identité : maintenant nommé Edouard Louis, il en a définitivement fini avec Eddy Bellegueule. 

 Mélissa Castillon, 2A, Edition-Librairie, 2018-2019 

Sources :
Pour la biographie de l’auteur : Site éditeur [ consulté le 30/09/2018 ] 

 Biographie de l’auteur : 

Nationalité : Française
Né à Amiens,1992 
Il a créé et dirige la collection « Des Mots » aux Presses universitaires de France. Il 2014, il reçoit le prix Pierre Guénin contre l’homophobie et pour l’égalité des droits 

Bibliographie : 

Histoire de la violence, Éditions du Seuil, 2016
Qui a tué mon père, Éditions du Seuil, 2018 

 Pour aller plus loin : 

Sur le déterminisme social : 

Pierre Bourdieu : L’Insoumission en héritage, Édouard Louis (direction), Annie Ernaux, Didier Eribon, Arlette Farge, Frédéric Lordon, Geoffroy de Lagasnerie et Frédéric Lebaron, PUF, 2013 

Sur l’homosexualité :
Le bleu est une couleur chaude, Julie Maroh, Glénat, 2013