Littérature française

Yannick ANCHÉ, Le Phare de Babel

Yannick Anché, Le phare de Babel

Editions Moires, 2016
Collection Lachésis
ISBN 9791091998253

« Ce n’est pas un jeu mais l’affrontement de deux hommes fatigués et abîmés par l’enfermement. Deux hommes isolés du monde des vivants. Deux hommes pour un seul royaume, Babel. », (p.25)

Prisonniers dans le phare de Babel, à la merci des éléments, deux hommes se confrontent à la dure réalité de l’isolement et au déclin de l’âme vers la folie. Trois mois qu’ils sont enfermés, confinés derrière des murs de pierre qui semblent se fragiliser jour après jour tant la mer se déchaîne contre les rochers. Dernier rempart contre la tempête qui sévit et qui empêche la relève des gardiens, le phare de Babel sonne le clairon de leur déchéance. Le phare de Babel, lumière dans la nuit, guide des marins et des égarés, retient en captivité ses gardiens. Ces deux hommes, qui ne se parlent plus dès le début du roman, qui ne communiquent que grâce à un tableau et à une craie, se partagent l’espace. Ce ne se sont plus de véritables personnes : seulement deux ombres, deux fantômes dans l’attente d’un dénouement incertain. Dès le début du roman, nous plongeons dans cet enfer aux côtés d’un des deux personnages, Gamin, qui nous relate ses insécurités et ses pensées de plus en plus noires. Qui sait quand le Kélouane, le bateau chargé de les sauver, réussira à s’approcher des côtes ? Qui sait quand les ténèbres de l’océan laisseront place au calme et à la sérénité d’un vent apaisé ? Les personnages, tout comme le lecteur, persistent dans cette attente insupportable. Le style d’écriture, fluide, nous emmène au plus loin dans les confins de l’être abandonné, décharné et craintif.

Et puis, finalement, le dénouement tant attendu vient. Il emporte avec lui ses malheurs et la mort. Durant la relève, la faucheuse frappe. Le second gardien, Eugène Guivarch, meurt dans des circonstances troublantes après avoir jeté par-dessus bord le compagnon de la relève venu échanger leur place. Gamin – de son vrai nom peu employé Arsène – loin d’être le petit gardien de phare aux premières lueurs de sa carrière prometteuse, se reprend en main rapidement et réussit à s’échapper de sa prison maritime. Il retrouve la berge et avec elle la liberté. Ou du moins c’est ce qu’il croit. Les fantômes de son enfermement le hanteront en réalité le reste du roman.

Comme le montre ce résumé, le premier roman Le phare de Babel de l’auteur compositeur et interprète Yannick Anché, publié par les éditions Moires en 2016 et ancré dans la collection Lachésis, ne rentre véritablement dans aucune case. On pourrait le qualifier de roman d’aventures car on suit les péripéties de Gamin dans le phare, puis sur la terre ferme et lors de son dernier voyage à bord de La Sirina. Mais ce roman prend également par moment des airs fantastiques et dramatiques : la folie fait partie intégrante de l’oeuvre, et la mort survient souvent et brutalement. Pourtant, ce roman puissant et psychologique est plutôt un fort mélange de tous ces styles, il s’imprègne de toutes ces caractéristiques pour porter une histoire au retournement final autant inattendu qu’indispensable.

Le roman, pourtant court, se divise en quatre parties distinctes : La phare, Les corbeaux, Les pleines voiles et Porto Santo, qui ont toutes leur lot de souffrance.

Dès le début du livre, le ton est donné. Ce roman ne sera pas une simple fiction mais les dernières mémoires d’un marin condamné à une vie d’errance. Au rythme de la houle, le narrateur nous guide vers son passé et les raisons qui l’ont poussé à choisir la vie de gardien de phare, puis vers un futur loin d’être séduisant. Peu de romans traitent de ce métier, très méconnu et le portrait que nous en fait l’auteur n’est pas très avantageux. Le personnage principal passe la plupart de son temps enfermé dans le phare et cette vie n’est pas favorable à une vie de famille. La carrière de gardien de phare apparaît comme une carrière de solitude et d’attente. Mais le choix de ce métier pour son personnage n’est pas anodin et est en vérité plutôt brillant. En effet, les métaphores affluent constamment pour nous faire comprendre au fil du roman que le phare n’est pas qu’un simple phare mais le mur d’isolement derrière lequel Gamin s’est réfugié après la mort de ses proches. C’est aussi un hommage à sa famille disparue. Le phare restera d’ailleurs très présent dans le reste de l’œuvre, malgré les changements de partie.

Comme cette œuvre n’est pas figée dans un genre, elle se joue donc des conventions. Elle surprend, interroge. Le lecteur ne sait pas où l’entraînera cette histoire et demeure durant tout le roman le jouet de l’auteur. Chaque partie a son lieu, ses peines et ses personnages. Dans la deuxième partie du roman, le ton change et devient plus léger malgré les menaces de mort que reçoit Gamin, menaces qui l’énervent mais qui n’ont pas l’air de l’inquiéter plus que ça. Il se livre même à des situations cocasses, en se déguisant par exemple en bonne soeur, pour dénicher le coupable et traquer ainsi son prédateur :

« Rien ne choque le vendeur, moi qui pensais être la première bonne sœur dévorant un sandwich en regardant les bateaux.» (p.67)

Durant plusieurs pages, l’atmosphère s’adoucit, mais ce calme n’est que le prélude d’une tempête encore plus grande. L’ambiance évolue au fur et à mesure que les deux dernières parties instaurent leur cadence, le côté dramatique s’intensifie peu à peu pour clôturer l’histoire là où tout a commencé : dans un phare.

V.G., 2A, Edition-Librairie, 2019-2020

Biographie :

Nationalité : Française
Né en : 1964

Auteur, compositeur et interprète sous le pseudonyme de Bordelune. Créateur lumière pour les spectacles de théâtre et de danse.

Le phare de Babel est son premier roman.

Albums de l’auteur, compositeur et interprète :

Exil Poétique
Ma Fleur du Mal
La commode à Malice
Au Bois des dames