littérature japonaise

Seiko TANABE, Josée, le tigre et les poissons

Seiko Tanabe, Josée, le tigre et les poissons

Traduit du japonais par Janina Tomimoto
Les éditions d’Est en Ouest,2017
ISBN-10 : 4990874633

L’amour contemporain en neuf nouvelles

Avec ces neuf portraits d’héroïnes modernes dans un Japon encore traditionaliste Seiko Tanabe dépeint des relations amoureuses s’éloignant définitivement du mythe de la Japonaise timide et douce, dévouée à son mari. Elle réécrit l’amour et le redéfinit dans le contexte actuel.

Une ode à la femme sous toutes ses formes

Si le recueil se découpe en neuf nouvelles, chacune d’entre contient l’essence d’une femme complètement différente. L’auteure redéfinit la femme à travers ces personnages hauts en caractères et en émotion. Même si le cadre géographique ne change pas, « Le Kansai », ces neuf Japonaises sont complémentaires et offrent une palette de couleurs hétérogène à l’auteur pour représenter la féminité japonaise dans son recueil. L’écrivaine utilise des personnages principaux féminins aux statuts sociaux souvent brillant, héritage d’un long travail personnel comme pour Eriko de la nouvelle « Prête à plier bagages » dont la narratrice dit que « Eriko était animatrice d’une table ronde d’un média local, et on la sollicitait de plus en plus souvent pour des interviews et des reportages filmés ; elle était estimée et ne cessait d’avoir du travail. » (p.94)
Ses personnages féminins se distinguent des hommes s’en séparent à leurs manières. Aguri scénariste de talent, dans « Un thé trop brulant », finit par ne pas retomber amoureuse de son premier amour et ne cèdera pas à ses demandes : « Aguri avait perdu tout intérêt pour Yoshioka. Même si autrefois elle l’avait aimé pendant des années, l’homme qui était présent devant elle ne lui évoquait plus rien. » (p. 25). Une autre, Rié, dans « La vie sauve », femme que son mari quitte pour une autre plus jeune et enceinte, s’émeut du destin de ce dernier : « Rié, enfin sans entraves, avait comme l’impression qu’en extirpant son mari de chez elle, c’était lui qui allait être prisonnier de sa vie dans cette nouvelle demeure »(p 120). Chez Tanabe les rôles masculins s’écrasent et s’effacent sous la présence imposante des rôles principaux féminins, de leurs caractères et déterminations.

Une fresque moderne, libérée des conventions sociales

Seiko Tanabe s’applique à détruire les bonnes mœurs japonaises et le rôle des femmes au sein de la société. Par sa plume, elle guide le lecteur à se libérer de ses idées préconçues, notamment sur l’amour, thème fétiche du recueil.
Ces personnages choisissent de se plier ou non à ce que la société nipponne leur impose en matière de relations sentimentales.  Il y a celles qui ne jurent que par le mariage sans trouver chaussure à leurs pieds comme Kozué : « Tout en pensant : “ Un de ces jours je me marierai“, elle avait fini par prendre de l’âge sans s’en rendre compte. » (p.29). Et il y a celles pour qui cela ne pose aucun problème et qui enchainent les aventures comme Iwako : « Comme elle n’avait nullement envie de se marier, elle s’amusait avec eux et passait du bon temps » (p.166). Les deux femmes vivent leurs célibats de manière diamétralement opposée.
Dans le récit « Imperceptiblement », Kozué s’écrase sous la volonté de la société et souffre de ne pas être aimée et surtout de ne pas être mariée, alors qu’Iwako dans « En attendant que tombe la neige » s’épanouit pleinement dans sa situation en ignorant la moralité nipponne. Il s’agit donc parfois de récits didactiques apprenant aux filles à vivre pleinement leurs vies sans se soucier des conventions sociales et de la gent masculine. Les neuf personnalités présentes dans les nouvelles peuvent au premier abord paraître se plier aux règles et codes sociaux mais elles s’en libèrent vite lorsque la passion plus forte reprend le dessus. Parfois même elles en sont complètement détachés comme pour Kaori dans « Rien de plus » qui se refuse à présenter son mari, qu’elle considère comme accessoire à son amant, de peur de se donner une mauvaise image : « Je voulais être considéré pour moi-même, et ne tenais pas à me voir affublée d’informations superflues » (p.67). Les rôles traditionnels sont inversés : c’est la femme qui cache à son amant son mari.

Une nouvelle forme de romance décomplexée

Bien que ce recueil aborde les infidélités, les mariages ratés, les divorces, le célibat, il n’en délaisse pas pour autant « l’amour « , son thème phare. Qu’il soit éphémère, naissant ou éternel, il est détourné des codes habituels des romances classiques. Ici ce sont les femmes qui mènent la danse en se jouant des hommes. Dans « Les hommes n’aiment pas les muffins » Mimi finit par se lasser d’attendre son amant et décide de partir avec sa nouvelle conquête qui n’est autre que le jeune neveu de ce dernier : « Dis Shimmon, si on vidait les lieux, tous les deux ? J’en ai assez de faire le pied de grue ! ».
Parfois l’amour s’approche de limites bien plus excentriques proches de l’inceste. Dans « Le cercueil de l’amour », Yuji jeune homme de 19 ans repousse les ardeurs de sa tante grande séductrice qui lui réplique « C’est bien ce que tu voulais, non ? » (p.61). Cette dernière ,ne se contentant pas de cette relation presque immorale, joue méchamment avec la naïveté et les pulsions du jeune homme.
Enfin les personnalités fortes de ces Nipponnes surprennent les hommes et les poussent dans leurs derniers retranchements. La nouvelle éponyme du recueil, « Josée, le tigre et les poissons », illustre le mieux cette romance moderne libre. Le compagnon de l’héroïne, Tsunéo, se soumet à tous les désirs de la jeune femme. Malgré la rudesse avec laquelle elle lui adresse la parole, cela n’empêche pas le jeune homme de lui être entièrement dévoué et il cède à tous ses caprices par amour :

« Même quand elle avait revendiqué le prénom de Josée, il s’était résolu à l’appeler ainsi. » (p.122)

Seiko Tabane au-delà d’une critique sociale de la société japonaise et de ses portraits de femmes rebelle, nous propose des histoires d’amour inédites et incroyables, pleines de déception de désirs et de cruauté. L’amour dans « Josée, le tigre et les poissons » n’a rien à envier à la douceur sucrée de celui des romances ordinaires communes et utopiques: il est pimenté de sel et c’est ce qui le rend réaliste et unique.

Marie Begu, 2A Bibliothèque-Médiathèque / Patrimoine, 2019-2020

Sources :
Site du salon L’autre livre.
Article de Japantimes.
Site de la BNF.
Site des éditions Picquier
Site des éditions Gallimard.
Site des éditions D’Est en Ouest.

Biographie :

« / »

Née en 1928 (Osaka)

Morte le 6 juin 2019.

Elle devient romancière et auteur de scripts pour la télévision nipponne. Elle est reconnue pour le ton humoristique avec lequel elle décrit les relations humaines de notre monde contemporain. Elle est la première auteure à écrire avec la langue d’Osaka. Elle remporte l’illustre prix littéraire Akutagawa pour son œuvre « Sentimental journey/Kanshou ryokou » en 1964. Elle a reçu également les prix Yoshikawa Eiji et Izumi Kyōka en 1993 et 1998.

Bibliographie (non exhaustive) :
Hanakari, édition Touto shobou (1958)
Kanshou ryokou, édition Shueisha (1964)
Onna na agaburo, édition Bungei shunjü (1975)
Shin Genji monogatari, édition Shinchou-sha (1978-79)

Pour aller plus loin :
Du même éditeur 
Le meurtre d’Alice, édition d’Est en Ouest, Yasumi Kobayashi, trad. Hureau Alice (2016)

Le Japon contemporain en nouvelles
Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, tome I, édition Gallimard, Collectif (1986)

Auteure japonaise contemporaine 
Le restaurant de l’amour retrouvé, édition Picquier, Ogawa Ito, trad. Dartois-Myriam (1995)