littérature brésilienne, Littérature d'Amérique du Sud

Mario SABINO, Le Jour où j’ai tué mon père

Mario SABINO, Le Jour où j’ai tué mon père

Métailié, 2009.
Descriptif du Dossier immatriculé
ISBN 978-2-86424-681-7

Le patient est nommé [donnée supprimée], pris en charge par Mario Sabino qui a écrit son histoire. Il est actuellement publié aux éditions Métailié, secteur Métailié Noir depuis 2009, transféré du Brésil où il a été interné en 2004 sous le nom de dossier : O dia em que matei meu pai. Son matricule est aussi connu comme ISSN 0291-493X.

Nom de séance : Face à face

Retranscription de la séance :

J’attendais avec impatience notre nouvelle entrevue, je vous le confie, docteur. Même si je sais ce que vous attendez de moi. Vous voulez entendre les événements de ma vie depuis mon enfance, qui m’ont mené à ce parricide. Je vais essayer de suivre une logique. Séparer mon récit en trois parties, cela vous aidera, je pense.

Si je devais nommer la première, je l’appellerais :

Le récit moderne d’Œdipe.

Comme vous avez pu le remarquer, j’ai commencé par une description assez détachée de mon acte, me fixant d’abord sur la météo avant de décrire mon crime, certainement dans le but de vous surprendre. Tout en la rangeant au simple rôle d’anecdote, je me rappelle mes propos : « Il serait plus juste de dire que j’ai tué mon père comme on respire. D’une respiration régulière qui n’exige pas un grand effort […] » (p. 11). J’ai évidemment fini par la parfaite description de son corps et mon appel à la police.

Comment ? Vous avez remarqué que je m’adressais à celui qui me lit ? Et bien, j’ai le désir de faire participer mon lecteur, qu’il soit mon docteur ou non. Je veux qu’il se sente comme face à moi, dans le but de le désarçonner, oui. Et puis surtout parce que ce livre est, comme dans ce compte rendu, une retranscription de mes séances avec votre collègue, Docteur [donnée supprimée], il me semble. C’est d’ailleurs pour cela que d’un chapitre à l’autre, je change de sujet. Cela dépend des sujets abordés au jour le jour.

Oui, vous avez raison, Docteur, venons-en à Œdipe. Et bien, comme vous le savez, tout cela a commencé dans mon enfance. J’ai commencé à haïr mon père lorsqu’il m’a sauvé de la noyade, une véritable humiliation ! En plus, cet acte a éloigné ma tendre mère de moi, moi qui étais tout pour elle, j’étais désormais dans l’ombre de mon père et je ne l’ai pas supporté. J’ai donc commencé à lui faire tous les coups bas auquel je pouvais penser. À l’âge de sept ans, j’ai lu tous les livres que je pouvais pour mettre à jour son manque de culture, et à mon tour l’humilier.

Vous voulez savoir la réaction de mon père face à cela ? Avez-vous lu ce livre au moins ? Enfin ! Il m’a humilié à son tour, me faisant croire durant un long moment que j’avais été adopté.

Vous voulez revenir à la mort de ma mère ? Il n’y a rien à dire. Si cela ne dure qu’une page, c’est pour une raison… C’est d’ailleurs le seul passage où je n’explique rien, ne décris rien. Non vraiment, n’en parlons pas, ce fut une trop grande perte.

Vous voyez le parallèle maintenant, je pense. J’étais terriblement proche de ma mère, pas au point d’Œdipe, mais elle était le seul amour que je désirais. Et le parricide me semble un point commun assez évident.

Passons au second point, voulez-vous, je le nommerais :

La mise en abîme

Vous avez justement deviné, docteur. Oui, on va parler de mon livre dans le livre, Futur. Vous dites ? La différence de style vous a perturbé ? Je comprends, on passe tout de même d’un langage parlé très simple, écrit à la première personne à un récit presque soutenu, savant et à la troisième personne. Mais ne me dites pas qu’on ne reconnaît pas à cela l’esprit d’un homme qui a lu énormément d’ouvrage.

Comment ? Vous vous demandez si Futur est une excuse afin de faire un récit philosophique sur Dieu et son lien avec le Mal ? C’est surtout l’histoire d’Antonîmo, un homme qui perd tout et se retrouve avec toutes ses réflexions philosophiques. Ainsi que sa lente chute dans une secte et les meurtres qu’il commettra en Son nom. Au nom de Dieu. Après tout, comme vous l’avez justement remarqué Antonîmo éprouve, comme moi, une haine de Dieu, mais il espère l’avoir tout de même à ses côtés. Voyez, il reste bon ami avec un prêtre, et celui-ci lui tient un long discours sur le fait que Dieu réside même dans le péché puisqu’il en est l’origine. Rappelez-vous, docteur : « Si le monde était bon par essence, Dieu ne serait pas nécessaire. De ce point de vue, je pense que l’on peut dire que le Mal fait non seulement partie intégrante du projet divin mais aussi de Sa nature, la nature de Dieu » (p. 76).

Bien sûr que vous pouvez en faire une critique, je vous écoute… Oh, je vois, vous avez trouvé le style alambiqué, avec des tournures de phrase trop complexes. Et ? Ah, effectivement, les dialogues s’enchaînent sans indiquer qui parle. Je vous accorde ce point, docteur, je tâcherai de m’en souvenir.

Vous vous interrogez sur la dernière partie ? Oh, je m’excuse d’avance, vous allez comprendre pourquoi.

Je l’ai intitulée :

Analyse du patient

Oui, je vous le confesse, j’ai écouté mon dossier sur l’enregistreur lors de votre absence. Je vous rassure, je la trouve très juste et c’est pour cela que je désire l’évoquer. Selon vous, votre première impression en lisant mon récit est que je manque d’empathie puisque mon discours est froid, vide. Vous faites même écho à ma confession concernant le fait que je n’ai rien ressenti à la mort de ma mère. Vous me dites aussi narcissique puisque je pense être la consécration ultime de sa vie. Pourtant, je reste lucide quant à l’ampleur de mon acte. Et il est vrai que, paradoxalement, j’éprouve toujours le sentiment d’être inférieur à mon père. Même après l’avoir tué.

Vous me qualifiez aussi de manipulateur, notamment avec les nombreux mensonges inclus dans mon récit. Et même aujourd’hui, vous ne savez pas ce qui est vrai ou faux dans ce que vous avez lu. Cela m’amuse beaucoup. Je me souviens. Dés le début de la séance, ou du chapitre comme vous préférez, j’avais annoncé « pardonnez-moi, mais rien de ce que j’ai raconté hier ne s’est réellement passé. Ou plutôt une partie à peine est vraie. […] Visiblement, ce n’est pas difficile de vous tromper. Dorénavant […] ce ser[a] ma distraction » (p. 18).

Il y a aussi mon désir de tout contrôler dans ma vie, contrôler trop de choses. Un symptôme de ce désir permanent serait mon réflexe de beaucoup décrire mon environnement, comme pour me l’approprier.

Une partie toutefois m’a déplu. Lorsque vous avez évoqué mon père, disant que votre première impression était celle d’un homme riche, sportif et charmeur. Puis vous affirmez que son manque d’amour pour moi n’est que la vision que j’offre de lui, que celle-ci est déformée par ma haine. Mais je vous pardonne, docteur.

Je tiens à dire que j’ai deviné que la fin de mon récit vous a surpris, je savais que vous ne vous attendiez pas à ce mobile ni même à cette révélation ! Je suis plutôt fier de mon effet.

C’est sur ces mots que je me désole de vous laisser docteur… Tiens… Cela fait un moment que vous n’avez pas prononcé un seul mot, êtes-vous encore là ? Docteur ?

Fin de séance

Jade Roux, 1A Bibliothèque-Médiathèque, 2019-2020.

Sources de renseignement :

Site de la maison d’édition (consulté le 03/03/2020)

Site Babelio (consulté le, 03/03/2020)

https://scribepublications.com.au/books-authors/authors/sabino-mario(Edition Scribe, Londres/Australie), 03/03/2020)

http://www.tirodeletra.com.br/biografia/MarioSabino.htm (Tiro de Letra, bibliographie numérique brésilienne, 09/03/2020)

https://brazil.mom-rsf.org/br/proprietarios/pessoas/detail/owner/owner/show/mario-sabino/ (Media Ownership Monitor Brasil, 09/03/2020)

Dossier du médecin en charge dit Mario Sabino :

Nationalité : Brésilien

 

Lieu de naissance : Sao Paulo

 

Date : 1962

·       Actuel rédacteur en chef de célèbres revues brésiliennes (Veja puis O Antagonista).

·      Le jour où j’ai tué mon père est son premier roman et l’unique paru en France.

·      Ce dernier a été traduit dans 11 pays différents.

(Hollande, Australie, Nouvelle-Zélande, Italie, France, Argentine, Corée du Sud, Roumanie, République tchèque, Angleterre et Portugal)

·       Certains de ces contes on été publiés dans plusieurs journaux de plusieurs pays différents

(The Drawbridge (Angleterre), Words Without Borders (États-Unis), « Granta » (édition brésilienne de la publication anglaise), « Dicta & Contradicta » (Brésil) et « Portal 9 » (Liban).

 

Autres Dossiers de Sabino

  • Antinarciso (2005, contes).
  • The Mouth of Truth (2009, nouvelles).
  • The Addiction to Love (2011, romance).
  • Lettres d’un antagoniste (2016, documentaire). Collection d’articles rédigés à l’origine pour la newsletter du site O Antagonista. Comprend des textes littéraires