Littérature canadienne

Nancy HUSTON, Prodige

Nancy HUSTON, Prodige

Ed. Actes Sud, 2002
collection « Babel »
1ère éd. Actes Sud, 1999
ISBN 2-7427-3535-8

« Vis, ma petite ! Sois forte, vis ! » (p.25) réclame Lara à son enfant prématuré, enfermé dans une couveuse dès la naissance, destiné à mourir. Elle décide d’insuffler la vie à ces 720 grammes, à sa fille, Maya, et lui fait une prédiction : elle deviendra une pianiste prodigieuse. Ainsi, Prodige raconte l’histoire de Maya, ressuscitée par la voix de sa mère et douée d’un talent extraordinaire pour le piano. Deux temporalités se dessinent au sein du roman : l’une devant la couveuse d’un hôpital, et l’autre où Maya est déjà une petite fille, une petite pianiste.

Née en 1953, Nancy Huston est une autrice et essayiste canadienne, vivant à Paris depuis les années 1970. L’anglais est sa langue maternelle, mais elle choisit d’écrire en français, et une grande partie de ses œuvres ont été publiées chez Actes Sud. Nous la connaissons grâce à son roman Lignes de failles paru en 2006, qui obtient le prix Femina. Nancy Huston joue de la flûte et du clavecin. Cette passion de la musique se retrouve jusque dans l’organisation du roman dont Polyphonie est le sous-titre. La parole de Lara ne sera donc pas la seule à jaillir du roman. Les voix narratives s’entremêleront pour former une polyphonie où l’on entendra distinctement Lara, l’enfant prodige Maya, la grand-mère d’origine russe Sofia,  mais également les hommes : le mari Robert, le voisin Lucien nouvellement veuf, ainsi que le jeune Benjamin, grand amateur des vers à soie. Tous ces personnages nous font partager leur vision du monde, de la musique, de l’amour, de la maternité, de la douleur.

Un univers de femmes

« Oui, il y aura trois femmes dans la maison, trois femmes, et trois pianos ! » (p.37) prédit Lara à sa fille avec enthousiasme. Elle exclut les hommes, et notamment son mari Robert, de leur relation fusionnelle. Robert, comprenant l’intensité de cette symbiose où il n’aura pas sa place, s’efface malgré l’amour qu’il porte à sa femme et sa fille. Les personnages masculins apportent au roman une certaine douceur, et une tendresse, un soutien à ces femmes. Nancy Huston a toujours été passionnée par la figure féminine. Rappelons qu’elle a d’ailleurs participé un temps au MLF (Mouvement de Libération des Femmes) et qu’elle a suivi les cours de sémiologie de Roland Barthes. Son essai Reflets dans un œil d’homme aborde notamment le sujet des inégalités entre les sexes en rappelant leur plus grande différence biologique : seule la femme porte l’enfant. Aussi, au début de Prodige, le thème de la maternité et du rapport au corps est évoqué par deux femmes, séparées par les générations et par la culture, la mère et la grand-mère. La polyphonie narrative nous permet alors d’entendre nettement Sofia : « Elles font tant d’histoires pour accoucher, les Françaises. C’est une honte comme elles sont douillettes. » (p.14), puis sa fille Lara, alors enceinte de Maya :

« C’est choquant, les intimités brutales que les déjà-mères se permettent avec les pas-encore-mères. Cette irruption du corps, du sexe et de la mortalité dans les conversations les plus futiles. »  (p.14)

Transmission et jalousie

La transmission entre générations est soulignée dans ce roman car Lara tient à offrir à sa fille une vision féérique de la musique. Avons-nous déjà relevé le fait que la grand-mère, Sofia, est elle-même pianiste ? Une pianiste qui souhaite de toutes ses forces que sa fille Lara devienne une grande musicienne. Lara est pianiste oui, mais à quel prix ? Lara n’est « pas dans la musique mais dans l’effort, tant d’années d’efforts, répéter répéter répéter répéter, inscrire les doigtés et rerépéter » (p.108). Le jeu de Maya pourtant lui est si léger, naturel, évident. Lara, parvenue à donner à sa fille le don de musique comme un jeu, s’effondre et devient jalouse :

« Je ne supporte plus de l’entendre ! Cinq, six, sept heures par jour, la musique jaillit d’elle – cascade limpide et lumineuse, infiniment renouvelée… » (p.114).

Une vision poétique de la musique

En 1981, le premier roman de Nancy Huston, Les Varations Goldberg est publié. Il témoigne de son intérêt, de son amour et de son envie de dire la musique. Et c’est avec bonheur que nous le retrouvons dans Prodige. À la fois le roman nous fournit le vocabulaire technique de la musique et nous en livre une vision merveilleuse, métaphorique, prodigieuse :

« Tu joueras comme si tu n’avais ni mains ni piano ! Comme si tu ne touchais même pas le clavier, mais la musique directement ! Comme si, d’emblée, tu dansais dans l’au-delà ! Oui ma fille, car tu n’atterriras jamais tout à fait.  » (p.109-110)

Et si vous avez lu Les Variations Goldberg, vous serez ravi d’apprendre qu’ici aussi la musique de Bach est à l’honneur :

« En tout cas dans Bach, pour moi, c’est toujours l’été, j’ai jamais compris pourquoi les gens disent que c’est froid, une fugue de Bach c’est la chaleur même – tu ne trouves pas, babouchka ? » (p.119-120)

Lucine Hamard, AS, Bibliothèques-Médiathèques, 2017-2018

Sources
Actes Sud : https://www.actes-sud.fr/nancy-huston
Prodige, Nancy Huston, Babel, Actes Sud, 2002
Auteurs contemporains : http://auteurs.contemporain.info/doku.php/auteurs/nancy_huston

Biographie de l’auteur :

Nationalité : Canada
Née à : Calgary, Alberta (Canada) , le 16/09/1953
Nancy Huston est une écrivaine, romancière et dramaturge canadienne, d’expression anglaise et française, vivant à Paris depuis les années 1970.

Bibliographie non exhaustive de l’auteur
Les Variations Goldberg, Editions du Seuil, 1981.
Instruments des ténèbres, Actes Sud/Léméac, 1996.
Lignes de faille, (Prix Femina),  Actes Sud, 2006.
Reflets dans un oeil d’homme,  Actes Sud, 2012.