Littérature canadienne

Margaret ATWOOD, C’est le cœur qui lâche en dernier

Margaret ATWOOD, C’est le cœur qui lâche en dernier

Traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch
Titre original : The Heart Goes Last, ed. Penguin Random House, 2015
Robert Laffont, 2017
10/18, 2018
ISBN 978-2-264-07095-1

Une ville qui semble utopique…

Stan et Charmaine, un couple contraint de vivre dans leur voiture à la suite d’une crise économique sans précédent, découvrent l’espoir d’une vie meilleure dans une séduisante publicité pour la ville de Consilience. « Vous rappelez-vous la vie que vous aviez ? […] Avant que ne vacille l’univers sur et solide que nous connaissions ? Avec le projet Positron, dans la ville de Consilience, vous pourriez la retrouver. » (p.47).

L’idée est simple, vivre un mois dans une maison de rêve, travailler pour la ville et avoir autant de nourriture que nécessaire puis le mois suivant aller en prison à Positron, pendant que d’autres personnes prennent votre place. Une règle fondamentale à respecter, ne pas entrer en contact avec ces personnes, les « alternants ».

…où les habitants sont pris au piège

Lorsque Charmaine et Stan emménagent, toutes leurs attentes sont comblées. Mais au fil des mois, ils découvrent des éléments qui les font douter du projet et accentuent leur sensation d’enfermement. Stan est le premier à se rendre compte que cette ville est séparée du reste du monde, « Que se passe t-il dans le monde turbulent en dehors du vase clos, du bocal à poissons de Consilience ? Non, pas un bocal à poissons, car personne ne voit ce qui s’y trame. »(p.189).

Le slogan de consilience « Consilience= condamnés + résilience. Un séjour en prison aujourd’hui c’est notre avenir garanti »(p.68) est répété plusieurs fois au long du roman. Cette phrase est souvent diffusée à la télé ou lors des discours officiels du dirigeant de Consilience. Elle accentue la sensation de captivité des habitants de Consilience, qui regardent en boucle les mêmes informations et ne peuvent sortir de ce système.

Deux personnages…

Dans ce roman, les questions d’amour et de passion se mêlent aux intrigues politiques. On découvre en suivant le couple de protagonistes et leurs mésaventures amoureuses les dessous de cette ville en apparence utopique. On retrouve la critique incisive de la société comme dans nombreux des romans de Margaret Atwood. Les manigances des dirigeants du projet amènent Charmaine et Stan à affronter les épreuves séparément. Les chapitres alternent entre l’un et l’autre des protagonistes, ce qui permet de les suivre en simultané et de connaître leurs pensées.

« A présent, elle a l’impression de ne pas le connaître, d’avoir perdu ses repères, […] c’est parce que Stan n’est plus dans ce lit avec elle, il n’y sera plus jamais » (p.278).

Les deux protagonistes sont différents sur plusieurs points, Charmaine naïve et docile veut garder sa place dans le projet, Stan lui est plus colérique et rebelle. Un élément se retrouve chez les deux personnages, c’est la passion qu’ils se découvrent pour l’alternant qui occupe leur maison lors de leur absence. L’ardeur naît chez Stan avec une simple trace de rouge à lèvres : « Stan n’arrête pas de penser à tout ça : à Jasmine, à sa bouche. »(p.77). Cette obsession va les conduire dans les sombres machinations de la direction de Concilience. Leur différence de personnalité permet de s’identifier aux personnages et à ce qu’ils traversent. Cette sensation d’avoir des personnages réels est renforcée par la progressive découverte de leurs vices cachés.

et deux registre disparates

De nombreuse intrigues se lient dans le récit. On a affaire au sein du projet, à des meurtres, à un adultère ou encore à un trafic de bébés. Ces sujets variés illustrent bien les faiblesses des hommes et des femmes. Ils permettent aussi d’entraîner le lecteur vers deux genres très différents. D’un côté, il y a les scènes comiques de querelles amoureuses et de quiproquo qui font penser à un vaudeville, de l’autre, un récit d’anticipation montré par un projet utopique qui en réalité est un système corrompu. « Ed, leur président-directeur général » (p.191) garde cachés les secrets, mais quand des bruits commencent à se faire entendre, les habitants sont prévenus qu’ils ne doivent pas écouter «  De quoi il parlait ? Demande une autre. Quels bruits je n’ai rien entendu. – On n’a pas besoin de savoir, intervient une troisième. Quand les gens débitent des trucs pareils, ça veut dire :  » Écoute même pas « , voilà ce que ça veut dire. » (p.194).

Les titres des chapitres donnent un aperçu de ces deux genres abordés. On retrouve des noms comiques comme « Chou à la crème »(p.221) ou « Main baladeuse »(p.305) qui côtoient des mots plus graves comme « Rafle »(p.429) ou « Menace »(p.190). Ces titres, aux noms suggestifs et hétéroclites, interrogent le lecteur sur ce qui va lui être raconté par la suite. Margaret Atwood surprend son lectorat grâce à ces nombreux rebondissements et changements de style, auxquels on ne s’attend pas.

Doucet Gaëlle, 2eme année bibliothèque, 2018

Sources :
Pour la biographie de l’auteur : / [consulté le 25/11/18]

https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/margaret-atwood-1 [consulté le 23/11/18]

https://www.cbc.ca/books/76-surprising-facts-about-margaret-atwoo/d-1.4091106 [consulté le 23/11/18]

Biographie de l’auteur :

Nationalité : Canadienne
Née à : Ottawa, 1939

Elle a écrit plus de 50 livres de fiction, de poésie et d’essais critique. En 1985, elle acquiert une notoriété internationale avec la sortie de son roman La servante écarlate. Elle a écrit son premier roman à l’âge de sept ans, sur une fourmi. Elle est Compagnon de l’Ordre du Canada.

Bibliographie non exhaustive :

La femme comestible, Robert Laffont, 2008
Le dernier homme, Robert Laffont, 2005
La servante écarlate, Robert Laffont, 1985. Le Prix du Gouverneur général en 1985, celui du Los Angeles Times en 1986, le Prix pour la science-fiction Arthur C. Clarke en 1897.