littérature indienne

Tabish KHAIR, Filles du djihad

Tabish KHAIR, Filles du djihad

Traduit de l’anglais (Inde) par David FAUQUEMBERG
Titre original: Jihadi Jane, éd. Penguin Books, 2016
Les éditions du Sonneur, 2018
ISBN: 978-2-37385-081-9

Jamilla une jeune femme musulmane exilée à Bali, se confesse à un écrivain que l’on devine être Tabish KHAIR. Elle lui conte sa vie de musulmane anglaise, partie faire le djihad avec sa meilleure amie d’enfance Ameena. Jamilla commence par son enfance et la religion dans laquelle elle baigne depuis toujours, et autour de laquelle sa famille l’éduque. A son tour, elle la transmettra plus tard à son amie. Toutes deux opprimées par leur famille et par la société durant leur adolescence, et poussées par l’envie de mener leur combat, elles prennent la décision de partir faire le djihad en Syrie. Là bas, elles rejoignent Hejjiye, une femme charismatique dirigeant un orphelinat. Ameena promise à un djihadiste, quitte Jamilla enfermée dans ce lieu anxiogène.

Une profonde désillusion

L’histoire commence lorsque Jamilla raconte sa rencontre avec Ameena. Une fille habillée court et qui sort avec des garçons. Elle devient sa meilleure amie après une douloureuse rupture amoureuse, quand Jamilla la prend sous son aile. Ameena s’intéresse ensuite à la religion musulmane et se convertit à son tour. Toutes deux s’éloignent petit à petit du monde réel, tandis qu’elles s’intègrent de plus en plus au monde virtuel des réseaux sociaux. Elles y rencontrent des personnes de leur confession, partageant leurs idéaux, qui leur parlent d’une cause à défendre et d’un combat à mener. Notamment Hejjiye, qui les encourage à prendre un avion pour la Turquie, pour la rejoindre en Syrie et se battre à ses côtés. C’est à ce moment là que le lecteur se rend compte du rôle des réseaux sociaux dans ce système d’engrenage de la radicalisation, mais aussi de l’impasse dans laquelle nos deux jeunes filles sont en train de s’engager. En effet, après le stress et l’euphorie du grand départ, elles vont de désillusion en désillusion, jusqu’à trouver un monde aussi laid et cruel que celui de leur pays natal. Les seules issues sont soit d’être l’épouse d’un djihadiste, soit de devenir kamikaze. Rapidement, la narratrice nous enferme avec elle dans un huis-clos étouffant et effrayant, qui remet en cause le combat pour lequel elles sont parties. D’ailleurs, les désillusions auxquelles sont confrontées les deux protagonistes détruisent également les idées reçues que peut avoir le lecteur sur le djihad.

« D’autres, comme moi, avaient certainement décidé de ne pas douter – car peut-on vraiment croire lorsque toute liberté de douter vous est retirée ? Quel est l’intérêt d’avoir la foi si vous ne vous accordez, ni à vous ni aux autres, aucune véritable possibilité de choisir ? » (p. 261)

De l’amour de la religion au fanatisme

Jamilla a été élevée dans une banlieue du nord de l’Angleterre par une famille musulmane stricte, qui lui a transmiq l’immense amour qu’elle porte à sa religion. Cet amour, elle le partage plus tard avec Ameena, qui se met à suivre et à étudier le Coran à la lettre, devenant plus pieuse encore que son amie. Elles ressentent le même mal-être, celui des musulmans pratiquants en Europe, et plus particulièrement les femmes voilées. L’histoire débute donc par une amitié fusionnelle, et un grand amour pour la religion, mais qui ne sombre pas pour autant dans la haine et la violence. Portées par les idéaux des djihadistes, et le manque de confiance qu’elles ont dans les médias occidentaux, elles se dirigent vers une voie extrémiste et violente de cette même religion. Des djihadistes comme Hassan, le mari de Ameena, ont une vision très stricte du Coran, et n’acceptent aucun débordement. Ce personnage est cruel, il utilise l’Islam comme un prétexte pour assouvir sa soif de sang. Au sein de l’orphelinat les règles deviennent plus rigides, malgré le rythme de vie déjà chargé. Au départ ce ne sont que les fêtes qui sont supprimées. Puis les sorties, certains jeux, ouvrages et même le rire sont interdits.

« Brûler un livre, c’est comme brûler un être humain. Quand on commence à brûler des livres, on finit par brûler le monde entier et tous les êtres humains qui y vivent ! » (p.252)

Cet autodafé organisé dans la cour du bâtiment choque Jamilla, car elle se rappelle de ce qu’un garçon de sa classe lui avait dit lors d’une querelle. A cause de ces durcissements, notre héroïne doute de plus en plus de la légitimité et de la beauté de son combat qu’elle réalise être odieux, mais elle doit se taire afin de s’échapper vivante de l’impasse dans laquelle elle se trouve.

J’ai adoré ce livre qui traite d’un sujet polémique, avec une écriture simple et naturelle, agrémentée de quelques touches d’humours. En plus du sujet, ce qui est intéressant, c’est d’avoir le retour réflexif de Jamilla sur la situation. Elle nous laisse entrevoir la fin tragique par ses commentaires adressés à l’écrivain, mais aussi aux lecteurs.

MOREAU Noémie, 2A Bibliothèque-Médiathèque / Patrimoine, 2019-2020.

Sources
Site des éditions du Sonneur.
Site officiel de l’auteur

Né en 1966 (Inde)

Poète, romancier, journaliste, critique littéraire, mais aussi professeur de littérature dans une université au Danemark. Il a été sélectionné pour neuf prix prestigieux avec ses romans, dont le Man Asian, et Encore Award en 2010 pour son premier roman Apaiser la poussière. Ses ouvrages ont été traduits dans de nombreuses langues.

Bibliographie

Apaiser la poussière, éd. du Sonneur, 2010
A propos d’un thug, éd. du Sonneur, 2012
Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire, éd. du Sonneur, 2013